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Serge de Beketch commente "Droit vers l'azur"

608035523.jpgSouvenirs d'un monde perdu

Est-ce une affaire de génération ? Plus je vieillis et plus j'aime les mémoires, journaux intimes, et souvenirs alors que le plaisir de la fiction s'évanouit doucement.

J'ai donc ouvert avec une gourmande impatience "Droit vers l'azur" de notre ami Daniel Raffard de Brienne, joliment préfacé par un autre ami, Vladimir Volkoff et non moins joliment édité par les éditions Consep sous une couverture dont l'illustration élégante évoque à merveille la beauté voilée dela campagne picarde. C'est toujours une étrange expérience de lire les mémoires de quelqu'un que l'on connait. Où plus précisément que l'on croît connaître.

Avec Daniel Raffard de Brienne, cette expérience se complique d'un véritable voyage dans le temps. Comment croire, en effet, que l'ami que l'on a devant soi a été, il y à une septantaine, un galopin vêtu d'un "petit ensemble de venours ou d'un costume marin porté avec le béret assorti (et), l'hiver, des guêtres en cuir souple que l'on boutonnait jusqu'aux cuisses à l'aide d'un crochet."

Ainsi ce costume que l'on croirait sorti d'une illustration d'Emile Bayard pour un roman de la Comtesse de Ségur était encore porté par les enfants sages un siècle après "Jean qui pleure et Jean qui rit" ?

Comment imaginer la rue de son enfance : "une circulation assez réduite : le tramway qui traversait la place, le tombereau à cheval où les barocheurs vidaient les poubelles avec des voitures hippomobiles ou à moteur (...) un montreur d'ours qui y exhibait son animal".

C'est vraiment un autre monde qui renaît sous nos yeux. Un monde d'un autre siècle et d'un autre pays mais que nous pouvons presque toucher puique ceux qui l'ont vécu y tiennent encore. Songe-t-on aux séismes intellectuels, psychologiques, moraux qu'on pu provoquer chez nos aînés le basculement de cette bonne société du plat pays encore toute pétrie de tradition dans notre chaos barbare ?

Passer du "barocheur" ch'timi vidant sa poubelle dans un tombereau au coin d'une rue déserte de Saint-Quentin au bambara affublé d'une combinaison fluorescente qui pousse un levier pour hisser un conteneur en plastique jusqu'aux entrailles d'un énorme camion-benne hurlant de tous ses moteurs dans une cité des territoires occupés, est-ce vraiment ça le progrès ?

Raffard de Brienne a, en tous cas, traversé les orages du temps sans perdre le sourire. Et ce n'est pas le moindre charme de son livre que cet esprit si français qui imprègne chacune de ses pages, que cette réserve qi discrète qui voile les épisodes tragiques (et ils ne manquent pas) que cette modestie si assurée qui esquive à chaque instant l'autocélébration et que cette franchise bonhomme qui nous offre l'amusement roboratif de quelques coups de pieds au culte de la personnalité.

Là encore, on a l'impression de découvrir un autre monde, une autre société, d'autre moeurs. Des gens bien élevés n'imposant ni leurs humeurs ni leurs chagrins mais ne courbant pas pour autant l'échine et ne mettant à leur langue que le frein de la courtoisie.

A des années-lumières du mur des lamentations qui est aujourd'hui l'élément principal de l'architecture sociale.

Ainsi suivons-nous avec bonheur le vagabondage de Raffard à travers sa propre vie, l'enfance, la guerre et le cauchemar des bombardements où le jeune scout charrie, des jours durant, des cadavres démembrés, les débuts du militant royaliste dans le remuement d'après-guerre, les joies et les peines de la vie de famille, l'engagement catholique, la crise de l'Eglise, et le combat inlassable, déterminé, on pourrait dire presque héroïque pour la gloire du saint Suaire de Turin (quel signe de contradiction, encore, quel sujet de méditation que le dévouement de cet homme qu'un enchaînement presque préternaturel d'accidents a quasiment privé de la vue et qui s'est fait le hérault de l'évangile par l'image !).

Et toujours ce style français, cette "distanciation" pleine de l'humilité blagueuse qui est sans doute le trait dominant du caractère de Daniel Raffard de Brienne.

Vraiment, ce livre est un petit bonheur.

Serge de Beketch (Le libre Journal n° 305 du 30 octobre 2003)

Droit vers l'azur

Préface de Vladimir Volkoff

Editions Consep

 

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