Dans cet ouvrage sur le mouvement charismatique, Daniel Raffard de Brienne démontre les dérives et dangers de cette mouvance chrétienne dont beaucoup parlent et que bien peu connaissent réellement. Sans esprit de dénigrement mais avec parfois de redoutables pointes d'humour, il nous livre une analyse sans concession de cette pratique aujourd'hui fort répandue.
Dans Monde et Vie de janvier 2002, année de la publication de l'ouvrage, Michèle Reboul en fait une recension très didactique dont l'intérêt demeure entier quelques années après.
"Daniel Raffard de Brienne intitule son dernier livre parue dans la collection "Objections" des éd. Servir, fondées par l'abbé de Tanouärn, de la Fraternité St Pie X, Les charismatiques après la fête (1). son livre, de vulgarisation, est un résumé simple et clair, sur le sujet et sur l'apparition charismatique de Medjugorje.
Pourquoi ce titre bien choisi, "Les charismatiques après la fête" ? Parce que les fausses lumières n'éclairent pas et que les charismatiques ont choisi le clinquant, les paillettes et l'extériorisation du sensible, de l'affectif, au détriment de la Vraie Lumière qui ne se fait connaitre que de nuit, dans la nuit de l'âme et des sens. Saint Jean de la Croix disait dans "la nuit obscure" : "Plus la lumière et la clarté de Dieu sont élevées, plus elles sont ténèbres profondes pour l'homme" (cité p.100 dans St Jean de la Croix et la nuit mystique, d'Yvonne Pellé-Douel, coll. Maîtres spirituels, Seuil).
Les origines du Renouveau charismatique
Dans ses deux premiers chapitres, "Le Renouveau charismatique face à l'histoire de l'Eglise" et "Le Renouveau charismatique et la mentalité contemporaine", R. de Brienne montre que si le pentecôtisme, dit "catholique" (premier nom du mouvement charismatique) a commencé en 1967, donc après le concile Vatican II (1962-1965), c'est à la fois par réaction et par conséquence naturelle, logique. Le charismatisme est, en effet, une réaction contre ce que R. de Brienne ne craint plus d'appeler "le saccage de la liturgie" (p.23), accompagné par une relativisation des vérités de la foi, une religion "démythifiée, c'est-à-dire débarassée autant qu'il est possible du surnaturel" (p.25). C'est aussi une conséquence logique de la liberté religieuse et de l'oecuménisme prônés au Concile. L'abaissement doctrinal de l'Eglise conciliaire est tel que cela ne la gêne pas du tout - mais lui plaît au contraire - que le charismatisme, le mouvement le plus important de l'Eglise actuelle et le plus loué, avec l'Opus Dei, par Jean-Paul II, provienne non seulement du protestantisme mais d'une déviation de celui-ci : le pentecôtisme, lui-même dérivé du baptisme.
Car le pentecôtisme a été fondé en 1906 par des baptistes et un pasteur méthodiste, Charles Parham. Il appelle son mouvement "pentecôtisme, car il veut réveiller les dons que l'Esprit Saint a communiqués en plénitude aux apôtres le jour de la Pentecôte. Outre que c'est refuser à Dieu d'être le libre auteur de ses dons, propres à chacun, faire croire qu'il peut y avoir une "nouvelle Pentecôte" comme le voulait Marthe Robin avec Jean XXIII, c'est penser que l'unique Pentecôte était insuffisante, comme sont insuffisants, pour les charismatiques, le baptême et la confirmation, puisqu'il faut les revivifier par le "baptême de l'Exprit".
Les pentecôtistes pratiquent, comme les protestants, la libre interprétation de la Bible, alors que dans la véritable Eglise, celle d'avant Vatican II, seul le magistère de l'Eglise était garant de la Vérité et donc du sens de la Bible, de la Révélation. Mais ils en diffèrent par leur croyance au "baptême de l'Esprit" qu'ils conçoivent comme une nouvelle Pentecôte et dont la réception est confirmée par différents charismes : don des langues, de guérison, de prophétie, etc.
Tout commença au début de 1967 où quatre laïcs, dont deux professeurs de la faculté théologique de l'université Duquesne à Pittsburg aux USA, Ralph Keller et Patrick Bourgeois, demandèrent à recevoir par des pentecôtistes, un baptême dans l'Esprit. Ils avaient lu l'année précédente un livre où K. et D. Ranaghan en parlaient (Le retour de l'Esprit), éd. du Cerf, 1974) et crurent, comme ces auteurs, que le baptême dans l'Esprit revivifierait leur vie chrétienne. Ils n'ont pas pensé qu'ils ne pourraient sortir de leur tiédeur qu'en brûlant d'amour de Dieu, qu'en devenant des saints, et que cet amour de Dieu et des autres en Dieu serait vivifié par la prière,la communion, la confession, les oeuvres de miséricorde,la lecture spirituelle, etc.
Ces catholiques ont donc été demander aux protestants (l'idée ne leur serait jamais venue avant Vatican II !) de leur imposer les mains (geste que fait un évêque en ordonnant un prêtre). Aussitôt ils se sentirent "baignés" du Saint Esprit (selon leur expression qui fit naître celle d'"effusion de l'Esprit") et se mirent à parler en langues. Aussitôt ces laïcs vont imposer les mains à ceux qui le leur demandaient et le mouvement s'étendit, avec une rapidité étonnante, des universités aux couvents et aux paroisses (iln'y en à presque pas qui n'ait son groupe de prière charismatique).
Il y aurait actuellement 70 millions de charismatiques catholiques dans le monde et 400 millions en tout (avec les nombreuses confessions protestantes ; les orthodoxes ont une trop juste conception du Saint Esprit pour en faire partie). 40 000 charismatiques catholiques sont répartis en France dans une trentaine de communautés, la plus importante étant l'Emmanuel (près de 7000 fidèles avec 140 prêtres), mais aussi "Le Chemin Neuf", très lié au protestantisme, et les Béatitudes, appelé auparavant "Lion de Juda", mouvement plus juif que catholique. Leurs disciples fêtent le sabbat en plus du dimanche, dansent les danses juives des Hassidim, étudient le Talmud, très hostile à Notre Seigneur et à la Sainte Vierge, et les midrachim, commentaires rabbiniques de l'Ecriture.
Raffard de Brienne signale d'ailleurs dans son chapitre "Les communautés françaises et le Renouveau charismatique" qu'ils se reportent au texte hébreu de la Bible "alors que ce texte a été modifié par les Juifs devant le développement du christianisme" (p.68) (voir à ce sujet son livre La Bible trahie ?) (2). On ne peut pas à la fois croire que le Christ est venu (c'est le dogme de l'Incarnation du Verbe de Dieu) et prier avec les juifs pour demander la venue du Messie. De plus, leur conception du Messie temporel, puissant, à l'opposé de celle des chrétiens pour qui le Messie est le "Serviteur souffrant" d'Isaïe (p.53) "sans beauté ni éclat pour attirer nos regards... objet de mépris, abandonné des hommes... ce sont nos souffrances qu'il portait et nos douleurs dont il était chargé".
L'effusion de l'Esprit
Malgré son origine prostestante, le charismatisme, mouvement le plus important de l'Eglise conciliaire, inspirateur de nouvelles communautés (Focolari, Communion et Libération, les Foyers de charité...), pourrait être, peut-on penser, de remettre à l'honneur ce qui, après Vatican II, avait souvent disparu : la direction spirituelle, la confession individuelle, la prière centrée sur l'oraison, l'adoration au Saint Sacrement, le chapelet, etc. Le charismatisme est loué par les autorités ecclésiastiques, car il a permis que de nombreux jeunes, attirés par ce qui est sensible, sensuel et affectif, ne se dévoient pas dans les sectes et ne participent pas aux courants traditionnels comme ceux de la Fraternité Saint Pie X, rejetée par les évêques, car Mgr Lefebvre était opposé aux déviations de la foi et aux changements désastreux de la liturgie qui se sont imposés dans l'Eglise depuis le Concile : liberté religieuse, oecuménisme, nouvelle messe, nouveaux sacrements...
Ce qui fait la spécifictié du charismatisme, ce ne sont pas les dévotions traditionnelles qui furent au coeur de l'Eglise bimillénaire et sont des appâts pour attirer ceux qui s'ennuient dans les liturgies de la Parole et dans une Eglise desséchée où il n'y à plus ni mystère ni sacré car l'homme y a remplacé Dieu. Ce qui fait la spécificité, le coeur, du charismatique, c'est l'effusion de l'esprit appelée auparavant "baptême de l'Esprit". Là encore, le changement d'appellation est destiné à occulter la réalité du fait, même si, remarque R. de Brienne, "les deux expressions ne sont pas synonymes [car] le baptême dans l'Esprit, c'est l'acte et l'effusion de l'Esprit, son effet". (p.77)
Le baptême dans l'Esprit par imposition des mains, apparu à la fin du XIXe siècle, se fait généralement par des laïcs qui l'ont reçu, eux aussi. Il s'agit d'une initiation par des initiés ou d'une transmission du "sacrement du diable" comme disait le P. Catry. René Guénon (1886-1951), gnostique, franc-maçon (33e degré du rite écossais et 90e du rite égyptien de Memphis-Hisraïm) et musulman dans une confrérie soufie (à partir de 1912) et donc connaisseur en initiations, précisait dans ses Aperçus sur l'initiation : "Le rite est toujours efficace quand il est accompli régulièrement. Peu importe que son effet soit immédiat ou différé. Il vaut toujours et ne se renouvelle jamais."
Le baptême dans l'Esprit, supposé revivifier les grâces du baptême et de la confirmation, réduit l'importance de ces sacrements qui sont uniques car ils agissent "ex opere operato", "par leur puissance" et la vie chrétienne en est le fruit. Ce "baptême" affaiblit aussi le rôle du prêtre au profit des initiateurs, généralement laïcs et de leurs chefs, les bergers, à qui ils doivent une soumission totale, même pour les décisions de la vie familiale (avoir ou non un autre enfant, choix du lieu des vacances, etc.). Et l'effet de ce baptême, l'effusion de l'Esprit, est immédiate ou différée mais elle arrive toujours, comme l'avait observé René Guénon.
En quoi consiste cette effusion ? En une sensation non seulement sensible mais charnelle de ce qu'ils disent être le Saint Esprit (mais pourrait être l'Esprit du Mal). Au lieu de donner de véritables charismes, c'est-à-dire des grâces (charis = grâce) pour la conversion, la sanctification d'autrui, le bien de l'Eglise, cet "Esprit" produit des effets spectaculaires, inutiles et même souvent nocifs. Le signe principal que le charismatique a bien reçu l'Esprit est, en effet, le chant en langues : c'est une glossolalie, une énonciation involontaire de syllabes dans aucune signification.
Or jusqu'à l'intrusion du mouvement charismatique dans l'Eglise, ces sons privés de sens n'étient proférés que par les quakers, les méthodistes, les adeptes des "revivals" et... les possédés du démon. D'ailleurs, il est intéressant de constater que certaines personnes, au moment où elles reçoivent le baptême dans l'Esprit, tombent en transe ou bien ont une paix intérieure et un ravissement ineffable. On observe le même effet après la prise de drogues hallucinogènes, tele le LSD, ou dans le cas d'initiations où le démon envoûte l'âme (vaudou, méditation transcendentale...).
Quant au don des langues, il n'est en rien semblable à celui qu'avaient reçu les apôtres. Ceux-ci comprenaient leurs interlocuteurs et leur parlaient dans leur langue (Actes 2, 4-11) alors que les charismatiques en sont incapables et ne comprennent pas ce qu'ils disent. Ceux qui connaissent les langues rares dans lesquelles s'expriment les charismatiques (l'amahrique, l'araméen, etc.) affirment qu'ils profèrent souvent des blasphèmes alors qu'ils croient louer Notre Seigneur ou la Sainte Vierge. Et en ce qui concerne les prétendus charismes de guérison, R. de Brienne remarque qu'elles "ne font jamais l'objet de contrôles" (p.10).
Et puis, comment ne pas s'étonner que l'Esprit Saint qui est l'Esprit de Vérité, l'Intelligence même, s'exprime en sons inintelligibles, peu propres à enseigner la foi et à convertir, contrairement au don des langues étrangères reçu par les apôtres ? Et pourquoi l'Esprit Saint produirait-il un effet différent chez l'initié charismatique et chez le baptisé ou confirmé, enfant ou adulte, qui n'entre pas en transe et ne chante pas en langues ? Enfin, n'oublions pas que les mystiques ont toujours mis en garde contre la recherche sensible et parfois quasiment sensuelle des grâces du Saint Esprit.
Saint Jean de la Croix recommandait : "Que l'âme s'applique, non à ce qui est plus savoureux, mais à ce qui plus insipide ; non à ce qui plaît mais à ce qui déplaît" (Montée du Carmel, Livre I, cha. 13, p.135 dans Y. Pellé-Douël, id). Et Raffard de Brienne cite, p.80, St François de Sales : "Il y à des âmes qui se veulent, à ce qu'elles disent, être conduites par l'Esprit de Dieu, et il leur semble que tout ce qu'elles imaginent sont des inspirations et des mouvements du Saint-Esprit... en quoi elles se trompent fort !" (Les vrais entretiens spirituels, 12e entretien).
Daniel Raffard de Brienne n'oublie pas le rôle de Marthe Robin dans l'édification des communautés charismatiques et a un très intéressant chapitre sur l'apparition charismatique de Medjugorje qu'il qualifie, fort justement, de "grandiose caricature de Fatima" (p. 111) : message non conformes à la doctrine catholique, en particulier par leur oecuménisme délirant, mensonges répétés des voyants, désobéissance aux évêques et aux deux commissions diocésaines. La première, dirigée par Mgr Franic de 1982 à 1986 et la deuxième, de 1986 à 1990, sous l'autorité de la conférence épiscopale yougoslave, ont toutes deux déclaré qu'"il n'a pas été possible d'établir qu'il s'agisse d'apparitions ou de révélations surnaturelles" (p.119).
Et le successeur de Mgr Franic, Mgr Perice, remarque : "Il est défendu de prétendre... que Notre-Dame serait apparue ou apparaitraît encore à Medjugorje" (p. 120). R. de Brienne dit, à juste titre, que Medjugorje est "la vitrine du Renouveau charismatique catholique" (p. 121). Or de même qu'on ne voit pas pourquoi le Saint Esprit aurait accordé des charismes à des catholiques par l'intermédiaire de confessions prostestantes, "étrangères par définition à l'Eglise et donc éloignées de l'unique Vérité" (p. 96), de même pourquoi faudrait-il fonder une nouvelle Eglise, comme si l'Eglise catholique n'était pas celle fondée par Dieu, voulue par Dieu ?
Michèle Reboul
(1) Les charismatiques après la fête, Daniel Raffard de Brienne, éd. Servir, coll. Objections, 2001, 123 p.
(2) La Bible trahie ?, Daniel Raffard de Brienne, éd. Rémi Perrin. R. de Brienne a fait un additif à ce livre pour contester la Bible Bayard, "Nouvelle mouture de la Bible trahie".
A lire aussi l'excellent livre de l'abbé Denis Coiffet : Le Renouveau charismatique est-il d'Eglise ? (111 p., NEL)