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Faut-il combattre les sectes ?

L'actualité récente pose à nouveau la question de l'implantation des sectes en France et de leur degré de nocivité. Emmanuelle Mignon, proche du président de la République a provoqué un beau tollé en affirment qu'"en France, les sectes sont un non-problème". Outre que la polémique ainsi lancée semble totalement artificielle et attisée uniquement pour de viles raisons politiciennes, elle ne permet pas non plus d'aborder sereinement ce délicat problème qui mérite beaucoup mieux que les empoignades stériles qui ont un instant fait la bonne fortune des medias.

Mais au fond, qu'est-ce qu'une secte ? Quels sont les critères suffisants et necessaires pour qualifier une organisation humaine de secte ?

Dans un article pour Renaissance Catholique, Daniel Raffard de Brienne livre quelques réflexions qui ont le mérite de clarifier un peu le débat.

Faut-il combattre les sectes ?

Un récent reportage télévisé montrait le Mandarom, un groupe religieux qui, sous la houlette d'un gourou libidineux, enlaidit les Alpes provençales d'un temple en construction et de statues immenses. L'actualité ne cesse ainsi de dévoiler de fort étranges sectes dont certaines défraient la chronique judiciaire : on se souvient des procédés financiers très discutés de l'église de Scientologie ou de l'apostolat par la prostitution des Enfants de Dieu.

Cette actualité peut même se révéler tragique. En mars 1993, au Texas, la secte Waco disparaissait dans les flammes et dans le sang, avec l'aide de l'armée américaine. Ce ne sont là que des cas extrêmes qui montrent à quelles aberrations peut mener le phénomène de sectes. Beaucoup plus préoccupante nous paraît l'extension de ce phénomène. C'est ainsi qu'en 1988 soixante millions de Sud-Américains étaient déjà passés aux sectes et que les principales villes de Colombie, pays naguère catholique en presque totalité, possédaient plus de temples que d'églises.

Qu'est-ce qu'une secte ?

On imagine mal le nombre de groupes religieux ou quasi-religieux que l'on peut recenser. On y voit de tout : les diverses religions et leurs déviations, les cultes orientaux, la sorcellerie, le satanisme, la gnose, toutes les philosopies, tous les modes de vie, le Nouvel Age, les Rose-Croix,la Franc-Maçonnerie... Il existe dans cet ensemble hétéroclite des points de convergence. Mais, chose curieuse, certains groupes sont bruyamment qualifiés de "sectes" alors que les autres ont droit au respect ou, mieux, au silence.

Dans ces conditions, une question s'est immédiatement imposée à nous : : comment définir les sectes ? Qu'est-ce qu'une secte ? On ne peut songer à combattre un adversaire que l'on n'est pas capable de reconnaître et de désigner.

Or il n'existe aucune définition sûre et indiscutable de la secte et, chose pire, cette définition ne peut même pas exister : tout ce que l'on peut dire, c'est que le mot secte a une résonance péjorative et qu'on l'emploit ou non selon que l'on veut discréditer ou préserver un groupe quelconque. Nous continuerons néanmoins à utitliser ici ce mot par simple commodité.

Les critères de la secte

Faute d'une véritable définition et dans la nécessité de reconnaître l'adversaire à combattre, nous avons essayé de répertorier les critères que l'on attribue généralement aux sectes. Les voici.

L'existence d'un gourou : gourou est aussi un mot que l'on utilise avec une intention dénigrante. On l'emploie pour signifier que toute secte suit un maître à penser. Il ne peut y avoir de secte sans, à l'origine, un maître. Mais c'est aussi vrai de toute religion et même de tout parti ou de tout mouvement. Les Chrétiens ne suivent-ils pas le Christ ?

On a découvert que les gourous de certaines sectes étaient des profiteurs, des hommes de moeurs douteuses. Ce n'est évidemment pas le cas de tous les fondateurs de religion. Mais que penser de Mahomet entouré de nombreuses femmes et concubines ? De Luther qui décrivait lui-même son ivrognerie et ses débauches ? De Calvin que Théodore de Bèze disait "enfoncé dans la boue" ? Ce ne sont sont pas les moeurs qui distinguent les gourous de autres maîtres à penser.

Est-ce la géographie ? On voit en effet honorer à l'excès Gandhi, qui fut un gourou hindou : est-ce parce qu'il est resté aux Indes ? Comment l'aurait-on jugé s'il avait exercé en Occident ? De même on vilipende volontiers les marabouts et les sociers qui organisent des sectes chez nous. Mais, à la foire aux religions d'Assise, on accueillit à égalité avec le pape les "prêtres" animistes et chamanistes.

Ou bien y à-t-il un problème d'opportunité ? Les sectes d'origine orientale sont mal vues, mais le Dalaï-Lama est reçu partout triomphalement jusque dans l'assemblée des évêques de Lourdes. Sans doute parce qu'il habite en Orient, donc loin, mais sûrement aussi pour des raisons politiques. Le "révérend" Moon, lui aussi chef d'un groupe religieux important et résidant en principe en Orient, est traité avec mépris : n'est-ce pas à cause de son anticommunisme de droite ?

Le critère "gourou" est donc loin d'être concluant.

Un doctrine religieuse déviante : en réalité, toute doctrine religieuse est considérée comme déviante par rapport à d'autres. Le judaïsme ne donsidère-t-il pas l'Islam et le christianisme comme des schismes hérétiques ? Les innombrables groupes protestants n'ont-ils pas une commune origine dérivée du catholicisme ? On remarquera à ce sujet que, selon leur importance ou leur ancienneté, on parle d'"églises", de "confessions" ou de "sectes" protestantes.

Le mot secte sert-il donc à désigner les groupes religieux petits ou récents, quelle que soit leur doctrine ? Si oui, à quel degré de développement et à quelle date un groupe cesse-t-il d'être une secte pour devenir une église ? On se souvient que le christianisme était bien jeune et bien petit le jour de la Pentecôte ; d'aucuns le qualifient d'ailleurs de "secte qui a réussi".

La nouveauté ou le peu d'extension d'une doctrine religieuse ne peuvent donc suffire à caractériser une secte. Son contenu non plus. Certes, bien des croyances prêchées par les "sectes" paraissent aberrantes, absurdes et profondément ridicules. Mais n'est-ce-pas peu ou prou, l'opinion de tout incroyant à l'égard de toute croyance ? De plus, certains groupes sectaires n'ont pas de doctrine véritablement religieuse ou refusent d'en avoir. C'est la cas de la Franc-Maçonnerie, déiste ou athée, des groupes rationalistes ou matérialistes, des bouddhistes, des communautés hippies, à part un vague orientalisme. Même le Temple du Peuple, suicidé en Guyane, avait plus d'attaches marxistes que religieuses. Le seul critère en matière religieuse est celui de la vérité : est seule vraie la doctrine conforme à la réalité. Mais cela dépasse largement le problème des sectes.

Des rites étranges ou même ridicules : on sourit à la vue de bonzes en robe safran dans nos rues ou celle de disciples de Krishna dansant sur nos places. On n'en sourit pas quand on les voit en Extrême-Orient : on les y trouve sans doute étranges par rapport à nous, mais non par rapport à leurs traditions et aux modes de vie de leur pays.

Les rites s'inscrivent dans des cultures et correspondent à des croyances exprimées dans ces cultures. Il n'y à donc pas lieu de les juger indépendamment de ces croyances et de ces cultures.

On peut en revanche s'interroger sur des rites extravagants et artificiels sans rapport avec le milieu culturel où ils sont créés.

Les plus ridicules à cet égard pourraient bien être les rites initiatiques de la Franc-Maçonnerie. Dans ce cas comme dans d'autres, la recherche du bizarre, et parfois de l'humiliant, a pour objet, non un culte, mais la prise de contrôle d'initiés ou de fidèles coupés de leurs références.

En revanche, les liturgies latines et grecques dont, il va sans dire, le but est tout autre, tirent leur beauté de rites chargés de symboles et venus du fond des âges. La récente "réforme liturgique", en coupant la liturgie catholique de ses racines, a rendu ridicules les traces qu'elle en a conservées : seule la suppression de la liturgie aurait répondu aux tendances actuelles du "monde". Quoi qu'il en soit, le critère "rites" ne paraît pas plus sûr que les précédents.

Un recrutement et un endoctrinement fallacieux : on reproche à beaucoup de sectes de recruter leurs adeptes en les "embobinant". Et certes beaucoup de gens s'engagent sans avoir une connaissance complète de ce qui les attend. Mais là aussi, en dehors des cas extrêmes, le critère reste bien imprécis et relatif. S'engage-t-on dans l'armée, dans une profession ou même dans le mariage en pleine connaissance de cause ? Sans doute, mais dans bien des cas, à l'exemple des sergents recruteurs de jadis, les "convertisseurs" font naître des expoirs excessifs ou dissimulent des invonvénients. Sur le plan des sectes, l'exemple le plus choquant est encore celui de la Franc-Maçonnerie où, du fait du secret interne, on ne révèle les véritables buts de l'organisation qu'au fur et à mesure de la progression des affiliés vers les hauts grades.

Une fois engagés, les adhérents des sectes sont les sujets, dit-on, d'un endoctrinement habile et systématique. Certaines sectes iraient plus loin et, en procédant à des "lavages de cerveaux" pourraient forcer les consciences. Mais n'est-ce pas ce que font les "déprogrammeurs" qui se chargent de désintoxiquer les gens, même non consentants, même adultes, que l'on fait sortir des sectes ?

Le refus des règles sociales : on reproche aux sectes, et surtout à celles qui vivent en communautés, de se replier en cercles fermés, de se couper de la société civile, voire d'en refuser les règles. Mais ne pourrait-on faire le même grief à tous les monastères ? Des malveillants ne pourraient-ils pas appliquer ce critère et tous ceux qui précèdent aux ordres et congrégations catholiques ? La différence, dira-t-on est que le catholicisme recommande la soumission aux lois du pouvoir temporel : "Rendez à César ce qui est à César". Et, de fait, l'Eglise ne conteste ni les impôts ni le service militaire, alors que certaines sectes, les Témoins de Jéhovah par exemple, enseignent l'objection de conscience ou même le refus du statut d'objecteur.

La différence n'est cependant pas si grande qu'il y paraît. Les catholiques acceptent bien, en effet, les lois conformes au droit naturel et compatibles avec l'exercice de la religion, mais ils refusent les lois antireligieuses, la législation de l'avortement...

Des pratiques immorales ou contraires au bien commun et aux lois naturelles : à première vue ce critère pourrait permettre de reconnaître DES sectes à défaut de définir LES sectes. Or il ne conviendrait même pas à cette tâche limitée, à moins de classer parmi les sectes tous nos gouvernements des dernières décennies.

En résumé, il est facile d'appliquer tous ces critères à une secte comme le Mandarom. Mais on constate que, pris ensemble ou séparément, il n'ont qu'une valeur relative, que leurs limites sont indéfinissables, qu'ils ne peuvent pas servir à distinguer clairement ce qui est une secte de ce qui ne l'est pas.

Faut-il combattre les sectes ?

A une question formulée de façon si générale, on ne pourrait répondre que négativement, car il n'est pas possible de combattre un ennemi que l'on ne sait pas reconnaître. Vouloir combattre globalement les sectes par une loi spéciale ouvrirait la porte aux abus et à tous les dangers. Di en effet l'on adoptait une telle loi, son application amènerait le pouvoir civil à désigner arbitrairement les groupes à ranger parmi les sectes. Dans l'état politique actuel de la France, on parierait sans crainte que la Franc-Maçonnerie serait épargnée alors que l'Eglise catholique serait plus ou moins rapidement attaquée, groupe par groupe, tendance par tendance. On peut même tenir pour assuré que les promoteurs d'une répression globale des sectes visent en réalité, à terme, le catholicisme. Pourtant, même si le concept de secte reste flou, il existe bien un phénomène sectaire inquiétant. Est-on réduit à l'accepter passivement ? Répondons d'abord que les pouvoirs civils, responsables de l'ordre doivent jouer leur rôle. Il leur appartient de réprimer les crimes et délits dont certaines sectes peuvent se rendre coupables : coups et blessures, attentats à la pudeur, drogue, séquestrations, abus de confiance, délits financiers... Il n'est pas besoin de lois spéciales pour cela, car l'Etat dispose d'un arsenal répressif suffisant.

La nécessaire surveillance des pouvoirs publics ne concernent pas le fond du phénomène sectaire qui repose sur des croyances religieuses ou au moins des choix philosophiques. Un Etat catholique, garant de l'unique vérité et soucieux du salut des âmes, devrait intervenir à ce niveau. Un Etat qui se veut neutre, laïque et défenseur de la liberté de penser, n'en a absolument pas le droit.

C'est à l'Eglise qu'il appartient de remédier au phénomène sectaire en prêchant et répandant la vérité. Le développement de ce phénomène doit beaucoup à son collapsus conciliaire : beaucoup de fidèles, déroutés par des nouveautés désacralisantes, privés de leurs certitudes remplacées par le laisser-aller oecuménique et le relativisme doctrinal, ont cherché dans les sectes le réconfort, les repères et la transcendance dont on les privait.

Les sectes reculeront quand l'Eglise, offrant de nouveau les trésors de la Tradition, reprendra sa mission apostolique trop souvent abandonnée : "Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit".

Daniel Raffard de Brienne

Renaissance Catholique n°29, mars-avril 1994

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