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La Croix coincée entre l'étoile et le croissant

Parmi les centaines d'articles publiés par Daniel Raffard de Brienne dans des dizaines de périodiques, un certain nombre sont intemporels, comme on dit maintenant. C'est le cas de cet article paru en mars 1991, il y à 17 ans, dans le mensuel Le Choc du mois.

Les pièges de l'oecuménisme

La Croix coincée entre l'étoile et le croissant

L'oecuménisme prôné par l'Eglise depuis Vatican II, a surtout donctionné à sens unique. Le christianisme se retrouve aujourd'hui désarmé face à ses frères ennemis, l'Islam et je Judaïsme, plus virulents que jamais.

Si l'on veut bien tenir pour négligeable la doctrine catholique, l'oecuménisme ne pose pas trop de problèmes tant que, comme à Assise en 1986, il ne s'agit que de faire poser pour des photos de famille les responsables de toutes les religions, entre deux prières adressées de manière synchrone aux quelques milliers de divinités représentées.

Les difficultés apparaissent dès que l'Eglise veut dépasser le stade des réunions mondaines. Non pas certes avec le Dalaï Lama ou les sorciers bantous mais avec les frères ennemis des autres "religions du Livre": les juifs et les musulmans.

L'Eglise multiplie pourtant les concessions unilatérales accordant tout et ne recevant rien en échange. Ainsi alors qu'une grande mosquée se construit à Rome et qu'un cardinal a représenté le pape à la pose de sa première pierre, les soldats venus au secours de l'Arabie Saoudite n'ont pas eu le droit d'y fêter ouvertement Noël et les ambulances qui relèveront leurs morts et leurs blessés ne pourront même par arborer la croix rouge.

Un vieux contentieux

Avec les juifs comme avec les musulmans, chque concession de l'Eglise appelle une autre concession de l'Eglise. Et les concessions sont d'autant plus importantes que le contentieux judéo-chrétien est très ancien. Il date de la crucifixion du Christ exigée par les juifs qui, peu après, ont éxécuté eux-mêmes Saint Etienne et saint Jacques. A en croire deux auteurs du IIIe siècle, Tertullien et Commodien, ils auraient été jusqu'à inciter Néron à ordonner en 64 la première grande persécution antichrétienne (1). On retrouve des juifs parmi les bourreaux des chrétiens, "selon leur habitude", précise en 155 le rédacteur du Martyre de Saint Polycarpe.

Les rabbins du Ie ou IIe siècle avaient ajouté, dans le cors de la grande prière, la Tenhilla, cette phrase : "Et les nazaréens (les chrétiens) et hérétiques, qu'en un instant ils périssent, qu'ils soient effacés du livre des vivants"(2). Un traité de droit civil de la même époque, le Baba mesia, prescrit en cas d'inondation de sauver le prochain et ses biens, de laisser se débrouiller dans l'eau les Goym et les bergers, et de noyer les chrétiens et quelques autres(3).

Des relations commencées de cette façon ne pouvaient guère se développer de manière vraiment cordiale. On ne résolut d'y remédier qu'à la suite de la dernière guerre. L'occasion semblait d'autant plus propice que l'Eglise en général et Pie XII en particulier, avaient sauvé de nombreux juifs de la persécution ; le grand rabbin de Rome, impressionné, s'en était même converti au catholicisme. Jules Isaac, demi-auteur de la célèbre mais partial Histoire Mallet-Isaac, prit l'affaire en main. Une première réunion, tenue à Seelisberg (Suisse) en 1947, vit les chrétiens se charger de la responsabilité de l'antisémitisme, tandis que les juifs y refusaient de prendre en compte même leurs textes les plus antichrétiens (4). Isaac obtint de Jean XXIII que le Concile Vatican II publierait une déclaration sur les juifs : c'est l'origine de Nostra aetate, adoptée en 1964 après une intervention des B'nai B'rith et qui lavait les juifs de toute responsabilité dans la mort du Christ, en contredisant tranquillement ainsi le récit des Evangiles (5).

De concessions en concessions

Les juifs parurent satisfaits pendant quelques temps, puis formulèrent de nouvelles exigences. Il y eut la visite de Jean-Paul II à la synagogue de Rome où le pape eut une attitude et des paroles complaisantes. Il y eut l'affaire du Carmel d'Auschwitz, qui déplaît tant aux juifs bien que situé loin du camp de la Shoah ; il en coûtera 100 000 dollars au Vatican pour reloger les religieuses dans un coin d'un futur centre oecuménique.

Le cardinal Ratzinger a indiqué, l'automne dernier, que l'on avait demandé la collaboration d'experts juifs pour la rédaction du futur "catéchisme universel" dont on veut faire un instrument de dialogue et dont les israélites réclament que, avec la Formation des prêtres et la liturgie, il participe à la lutte contre l'antisémitisme.

Une réunion tenue les 5 et 6 décembre suivant en présence du pape par les délégués du Comité juif international et ceux de la commission pontificale pour les rapports avec le judaïsme, a précisé les revendications israélites. A savoir : d'abord une déclaration du Vatican sur la Shoah, déclaration en cours de rédaction et qui incriminera certaines traditions catholiques venues des Pères de l'Eglise. Puis, entre autres, la reconnaissance de l'Etat d'Israël et la demande d'annulation de la déclaration par laquelle l'ONU, en 1975, assimilait le sionisme à un racisme.

Sans solution

Le Vatican ne semble pas vouloir céder sur ce dernier point pourtant accepté par les évêques américains. Quant à la reconnaissance d'Israël, réclamée de nouveau en janvier par le grand rabbin de Rome, le pape a fait répondre que , s'il ne conteste pas l'existence de cet Etat, il ne peut envisager une représentation diplomatique tant que ne seront pas réglés le problème palestinien et lle statut international de Jérusalem.

Il faut comprendre que l'oecuménisme conciliaire se trouve là coincé entre les exigences des juifs et celles des musulmans. Déjà le texte de Nostra aetate adopté, nous venons de le voir, par Vatican II en 1964 avait soulevé des protestations islamiques. Des protestations si menaçantes que les mêmes "pères conciliaires" avaient remplacé en 1965 ce premier texte par un autre notablement édulcoré. C'est à croire que l'Esprit qui inspirait, affirme-t-on volontiers, le Concile, avait soufflé un peu trop fort la première fois. Bien que le nouveau texte restât satisfaisant pour les juifs, le cardinal Bea se précipita à New-York pour présenter ses excuses à leurs instances internationales.

Le cardinal Decourtray, qui se sent, dit-il, de sensibilité juive, a déclaire en novembre qu'il valait mieux, dans le conflit du Golfe, "la guerre plutôt que le déshonneur". Ce qui ne pouvait plaire aux musulmans. Est-ce pour cela qu'il s'est trouvé peu après remplacé à la tête de l'épiscopat français par Mgr Duval, neveu du fameux archevêque d'Alger surnommé Ben Duval en raison de son amitiés pour le FLN ? Toujours est-il que Mgr Duval crut opportun de déclarer : "Entre ne rien dire et parler trop vite, il y à une place pour une parole qui soit vraiment utile à la mission de l'Eglise".

Tout cela est bien délicat, mais le Vatican a réussi à mettre d'accord juifs et musulmans. Contre lui.  En envisageant de béatifier en 1992 la grande reine d'Espagne Isabelle la Catholique, protectrice de Christophe Colom qui, chacun le sait, découvrit l'Amérique en 1492. Or il se trouve que, cette même année 1492, la même reine acheva de chasser les arabes d'Espagne en conquérant le royaume de Grenade. Et que, toujours en 1492, elle ordonna l'expulsion des juifs de Castille, pour des motifs d'ailleurs purement religieux.

Les protestations fusent de tous côtés. Elles viennent du grand rabbin de Rome. Et aussi, en janvier, à la fois d'une société islamique britannique, qui estime qu'Isabelle était plutôt un démon qu'une sainte, et d'une commission épiscopale, tout aussi britannique, spécialisée dans les relations judéo-catholiques. Le journal La Croix s'en même aussi : il penche plutôt vers l'Etoile que vers le Croissant. On en est là.

Bref, l'oecuménisme, ce n'est pas simple.

Osons une suggestion. Stupide, bien entendu. Celle-ci : et si l'Eglise laissait juifs et musulmans à leurs problèmes et s'occupait plutôt des catholiques .

Daniel Raffard de Brienne

(1) D. Judant, Judaïsme et christianisme, Ed. du Cèdre, 1969

(2) Père J. Bonsirven, Textes rabbiniques des deux premiers siècles chrétiens, Instituto Biblico, n°5, Rome, 1955

(3) Id, au n° 1753

(4) La Documentation catholique, juillet 1988

(5) Père Ralph M. Wiltgen, Le Rhin se jette dans le Tibre, ed. du Cèdre, 1975 (actuellement aux éditions Martin Morin : livre indispensable à toute personne désireuse de connaitre au moins une partie des dessous de Vatican II.

Article paru dans Le Choc du mois, n°38, mars 1991, p. 39-40

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