27e pèlerinage de Chartres 30, 31 mai et 1er juin 2009
Etre pèlerin
Si tout homme est spirituellement un pèlerin sur la terre, prendre la route de Chartres est une décision personnelle qui permet de rejoindre physiquement, même si ce n'est que pour un temps limité, cet état spirituel d'homme qui marche vers sa destinée éternelle. Marcher, c'est terre à terre. Et pourtant cette marche-la nous mène aux portes du Ciel !
C'est, pour un certain temps, se mettre dans un état de pauvreté volontaire. Oublier l'accessoire, pendant trois jours. Retrouver dans la simplicité des lys des champs, qui, selon la parabole du Christ, bien qu'ils ne se préoccupent pas de quoi sera fait le lendemain, sont plus somptueusement vêtus que Salomon dans toute sa gloire !
Marcher, occuper le corps pour libérer l'esprit. Il faut avoir fait cette expérience pour savoir ce qu'elle représente : marcher, dans la pauvreté, permet de se retrouver soi-même, loin des préoccupations de tous les jours. pèleriner présente également un côté ascétique. A certain moments, il est difficile d'avoir abandonné tout confort, difficile de subir le froid de la nuit et la chaleur de midi, la fatigue de la route et la soif de tout le jour, difficile de dominer parfois sa douleur physique pour aller vers le but que l'on veut atteindre. Il est cependant possible, avec le Christ, d'entrer par cette petite porte dans le grand mystère de la souffrance
"Il dépend de nous
Que l'Eternel ne manque point de temporel
Que le Spirituel ne manque point de charnel, Il faut tout dire, c'est incroyable, que l'éternité ne manque point d'un temps
Que l'Esprit ne manque point de chair
Que Jésus ne manque point d'Eglise
De son Eglise. I
Il faut aller jusqu'au bout : que Dieu ne manque point de sa création"
Péguy, le porche du mystère de la Deuxième Vertu.
Un pèlerinage de Chrétienté
En mettant ses pas dans les pas de ses Pères, le pèlerin de Chartres continue la marche des pèlerins du Moyen-Age, des Rois de France, des étudiants d'avant-guerre et d'avant-68, continue la Foi des paroisse et la Foi des métiers, celle de la France et des nations chrétiennes. Ainsi, le pèlerinage de Chartres se veut-il une réponse enthousiaste à la question que posait Jean-Paul II: " France, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? " (appel du Bourget, 1980), question qui se pose également à toutes les nations chrétiennes. C'est dans cet esprit que le pèlerinage de Chartres se met sous la protection de Notre-Dame de Chrétienté. La Chrétienté cette alliance joyeuse du Ciel et de la Terre !
"La Chrétienté est une alliance du sol et du Ciel; un pacte scellé du sang des Martyrs, entre la terre des hommes et le paradis de Dieu. Un jeu candide et sérieux, un humble commencement de la vie éternelle. La Chrétienté, c'est la lumière de l'Evangile projetée sur nos patries, sur nos familles, sur nos moeurs et sur nos métiers. La Chrétienté, c'est le corps charnel de l'Eglise, son rempart, son inscription temporelle [...] C'est aussi et surtout la proclamation de la royauté de Jésus-Christ sur les âmes, sur les institutions et sur les moeurs" (Dom Gérard)
La Chrétienté, c'est une cité dans laquelle les institutions et les modes de vie ne sont plus des obstacles à l'épanouissement des hommes, mais, respectueux de l'ordre naturel, des instruments qui permettent l'élévation de l'homme. Il ne s'agit pas, en voulant pacifier et embellir la Terre, de remplacer le Ciel, mais bien de lui servir d'escabeau. Et les pèlerins de Chartres sont de ces chrétiens qui veulent instaurer sur terre ce règne social de Jésus, car nous savons qu'Il est la seule alternative à la culture de mort et que c'est avec Lui seul que nous pourrons bâtir une civilisation du 3ème millénaire qui soit harmonieuse.
Le pèlerinage de Chartres utilise un rite liturgique Romain dit "de St Pie V", du nom du Pape qui en a révisé et fixé la forme par la bulle "Quod Primum", en 1570. Ce rite est également appelé "Tridentin", parce que la publication de la bulle de St Pie V eut lieu à la suite du Concile tenu de 1545 à1563 dans la ville de Trente (Italie du Nord). La messe célébrée dans ce rite est dite "traditionnelle", ou "de toujours", parce que c'est cette liturgie qui existait dans l'Eglise catholique d'Occident, avant la réforme de Paul VI aboutissant en 1969 aux messes que nous connaissons aujourd'hui dans la plupart des paroisses.
Origines du rite tridentin
Dès les début de l'histoire de l'Eglise, il fut rapidement nécessaire de codifier les pratiques liturgiques des fidèles, afin d'assurer l'unité des premières communautés de chrétiens, ainsi que pour donner à cette célébration tout le respect et la piété nécessaire. L'apôtre Saint Paul eut dans ce domaine une grande influence. Ainsi, la structure générale de la messe telle que nous la connaissons aujourd'hui était déjà en place dès le IIIème siècle. Cette structure est commune à tous les rits actuels de l'Eglise catholique, qu'ils soient orientaux (chaldéen, byzantin, melkite, syriaque, maronite, arménien, copte, éthiopien) ou occidentaux (ambrosien, mozarabe, gallican, dominicain, lyonnais, parisien, romain, bénéventain).
Entre 590 et 604, Saint Grégoire le Grand réalisa une mise en ordre des prières de la messe, et la première publication d'un sacramentaire officiel complet. Il parachevait un travail commencé par ses prédécesseurs, en particulier Saint Léon le Grand et Saint Gélase. Dès cette époque, la structure de la messe romaine était achevée. Ne lui furent ajoutés que le Credo (texte datant du IVème siècle, mais ajouté au IXème siècle), et les prières de l'offertoire (introduction entre le 9ème et le 12ème siècle, depuis les rits gallicans).
Pépin le Bref puis Charlemagne favorisèrent l'extension du rite romain dans tout l'empire d'Occident.
En 1474, dès l'invention de l'imprimerie, parut le premier "Missel Romain".
En 1570, le Pape Saint Pie V publie une nouvelle édition du missel Romain, qui n'est que la reprise, à de rares et minimes corrections près, du missel de 1474. Mais il accompagne cette publication de la bulle "Quod Primum", organisant la célébration du Saint Sacrifice.
Cette bulle a pour objet de "normaliser" les pratiques liturgiques de l'époque, et d'éliminer les fantaisies inopportunes que les protestants avaient introduites. Ainsi, elle énonce que le Missel de 1570 est désormais le missel unique que doivent utiliser tous les clercs de l'Eglise catholique Romaine. Mais, respectant les rits vénérables antérieurement pratiqués, elle donne l'autorisation de conserver tout rit pouvant justifier d'une pratique antérieure à deux siècles (le rite Dominicain, le rite Ambrosien, etc.). Ce texte solennel du saint Pape donne très clairement l'autorisation à tout prêtre, pour l'éternité, de célébrer la messe selon ce rite.
Les successeurs de Saint Pie V ont continué l'évolution du missel, en poursuivant le processus de développement continu qui, depuis l'origine, est le reflet de l'approfondissement par l'Eglise du trésor de la Révélation, nous transmettant un rite dont la forme initiale est fixée depuis 1400 ans ! Ainsi nous est parvenu, dans sa vivante fidélité aux origines, le vénérable rite romain, dont la dernière codification date de 1962.
La richesse symbolique du rite traditionnel latin
Le rite dont St Pie V a codifié l'expression est complètement imprégné des siècles d'histoire de l'Eglise. Sait-on, par exemple, que si les autels contiennent des reliques de Saints, c'est pour rappeler les premiers chrétiens, qui célébraient la Messe dans les catacombes, sur les tombes des martyrs ?
Quelques particularités du rite romain traditionnel
Le latin liturgique.
Le rite romain utilise le latin pour les textes des prières de la liturgie du jour, pour les prières du "Kyriale" (Kyrie (en grec), Gloria, Credo, Sanctus, Agnus) et pour la prière eucharistique. Les lectures et l'homélie sont faites en Français. L'utilisation habituelle d'un bon missel permet de participer sans difficultés très importantes, à la prière de l'Eglise.
Les textes propres à la liturgie du jour.
Si le Kyriale est chanté par toute l'assistance, les textes propres à la liturgie du jour ("le propre"), sont souvent chantés par une chorale.
Ce chant utilise les mélodies grégoriennes, cette musique si proche de la respiration de l'âme qu'elle en devient une prière. Se laisser porter dans la prière par la mélodie grégorienne peut demander une certaine accoutumance, mais qui ne comprend que l'on n'entre pas de plain-pied dans la contemplation des mystères divins ! La prière personnelle prend ici une dimension communautaire, s'exprimant à l'intérieur du support offert par la mélodie grégorienne.
La compréhension des textes chantés est à tout moment possible en se référant aux traductions des livres de messe. Pour le pèlerinage de Chartres, le livret distribué à tous les pèlerins contient les traductions de tous les textes de toutes les prières. Dans ce cadre, la démarche de prière devient à la fois très personnelle, puisque chaque âme est libre de suivre le cours d'une prière libre, et non plus de subir un texte qui dérangerait l'oraison, et à la fois très efficace, car l'attention personnelle à des mots lus est plus grande que celle accordée à des mots seulement entendus.
Le canon et la consécration
Dans le rite romain traditionnel, le canon (l'ordre des prières entourant la consécration du pain et du vin) est dit non seulement en latin, mais aussi en silence, et dos à l'assemblée. Pourquoi ?
Le rite romain traditionnel est très particulièrement tourné vers l'adoration et le contemplation. De la même façon que toute l'architecture d'une église "classique" traduit dans la pierre la raison d'exister de cette église, c'est à dire la louange divine, le rite romain traditionnel est tout entier façonné autour de la même finalité, louange et adoration. Ceci est particulièrement vrai pour la prière eucharistique, l'élément central de la Messe, qui réalise ce qui reste un mystère : la transsubstantiation du pain et du vin.
Que la prière de consécration soit dite en Latin, en Slavon, en Araméen ou en hébreu, à ce moment, qui peut dire que c'est l'intelligence du texte qui fait la qualité de la prière du fidèle ? Car que saisissons-nous du mystère central, qui est le mystère de l'Eucharistie ? Même si nous comprenons tous les mots, l'essentiel nous échappe, et demeure "invisible pour les yeux" ! A ce moment, le rite romain traditionnel permet une adoration libre, qui peut toutefois s'appuyer sans contrainte sur la lecture personnelle du texte que prononce le prêtre.
Par les grandes périodes silencieuses qui entourent particulièrement la consécration, par l'ordonnancement des prières, par l'attitude des corps, et par l'emploi du latin lui-même, ce rite romain antique n'enchaîne pas l'âme dans un réel dont elle n'arriverait pas à s'élever. Au contraire, le rite lui ménage de grands espaces de liberté, qui lui permettent, en toute paix, une adoration, une contemplation, une oraison, un coeur à coeur plus aisé et plus personnel.
La plupart des églises sont tournées vers l'Orient, qui représente à la fois la Jérusalem terrestre, épicentre de la religion Catholique, et la Jérusalem céleste, l'Orient étant le côté ou le soleil se lève, celui de l'arrivée de la lumière symbole lumineux du Dieu venu sur terre. Il est donc bien naturel qu'au plus fort de la Messe, le prêtre, s'identifiant au Christ, s'adresse à Dieu et soit tourné vers l'Essentiel, soit "Orienté". Ainsi, l'orientation du prêtre est beaucoup moins "dos à l'assistance" que "face à Dieu". Avec l'assemblée des fidèles, nous sommes ainsi tous tournés vers le Seigneur.
Le latin, langue de l'Eglise
La question de l'emploi du latin est souvent source de controverses. En effet, à quoi bon utiliser une langue que peu de gens comprennent, pourquoi ne pas lui préférer l'Anglais dans les célébrations internationales ? Tout simplement parce que le latin est la langue de l'Eglise d'Occident !
"L'Eglise, qui groupe en son sein toutes les nations, qui est destinée à vivre jusqu'à la consommation des siècles, [...] a besoin par sa nature même d'une langue universelle, définitivement fixée, qui ne soit pas une langue vulgaire". (Pie IX, Epist. Ap. officiorum omnium,1922)
Le latin est une langue stable. Au contraire des langues dites vivantes, dont l'évolution est constante, il n'y a pas de dérive sémantique en latin, le sens actuel des mots latins est celui de l'origine. Ainsi cette langue permet des définitions dénuées de toute ambiguïté.
"La langue de l'Eglise doit non seulement être universelle, mais immuable. Si en effet les vérités de l'Eglise Catholique étaient confiées à certaines ou plusieurs langues humaines changeantes dont aucune ne fait davantage autorité sur une autre, il résulterait d'une telle variété que le sens de ces vérités ne serait ni suffisamment clair, ni suffisamment précis pour tout le monde" (Jean XXIII, Veterum sapientiae, 1962)
L'enseignement du Concile Vatican II, et les Papes depuis Paul VI, ont fréquemment réaffirmé la nécessité de l'utilisation du latin dans les cérémonies :
"L'usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites latins [...] On veillera cependant à ce que les fidèles puisse dire ou chanter ensemble en langue latine les parties de l'ordinaire de la messe qui leur reviennent" (concile Vatican II, La Sainte Liturgie, 1963)
Le latin, support d'unité
Particulièrement en présence de nombreux étrangers, l'emploi d'une langue commune, musicale et précise, est un signe d'unité particulièrement ressenti quand, comme en 1999, des pèlerins venus de 21 pays rejoignent les pèlerins de France !
Le rite romain traditionnel permet d'unir tous les pèlerins dans une forme d'expression commune, qui ne soit pas le propre d'une culture, mais qui soit commune à tous. C'est la culture de l'Eglise Catholique, universelle. Cette langue permet de traduire concrètement notre communion, nous rapproche de nos frères pèlerins, de ceux qui ont fait parfois plusieurs milliers de kilomètres pour venir à Chartres, mais aussi de tous nos frères du monde, au delà des frontières, dont la prière s'appuie sur les mêmes mots. Il est très émouvant, pour un Français, d'utiliser pour prier les mêmes mots et les mêmes attitudes qu'un Américain ou un Letton.
Les mots latins que nous prononçons sont chargés du même sens que lorsqu'ils étaient prononcés par nos pères, par toutes les générations de Chrétiens qui nous ont précédés. Cette vénérable prière latine permet d'unir dans la même prière, au delà de toutes les frontières, tous les orants présents, mais aussi tous les orants passés, jusqu'aux premiers apôtres, et tous les orants futurs, jusqu'à la fin du monde
L'attitude spirituelle de l'orant dans ce rite est faite d'une part d'humilité et de reconnaissance: une part de sa prière s'inscrit dans la prière immémoriale de l'Eglise Catholique, il inscrit physiquement, matériellement, sa propre démarche spirituelle dans la grande démarche de l'Eglise elle-même, il utilise pour sa supplication le cri même de l'Eglise, et pour son action de grâce le joie de l'Eglise !
Source : Notre-Dame de Chrétienté