Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Les lettres martiennes

Les lettres martiennes.jpgGastronomie

Ma bonne amie, alors que comme nous les Terriens ne se livrent à la plupart des actes physiologiques que dans le secret de leur intimité, il en est un qu'ils ne craignent pas d'étaler en public sans la moindre pudeur : c'est l'alimentation. Il existe même des établissements spécialisés, que l'on appelle des "restaurants", où cela se fait en commun.

Les Terriens qui m'accueillent m'emmènent parfois dans ces restaurants et j'avoue qu'une fois dissipée ma gêne j'y ai pris goût. C'est donc avec joie que j'ai accepté de me rendre dans une maison dont je ne parviens pas à prononcer le nom. "C'est un nom écossais", m'a-t-on expliqué.

L'Ecosse est une petite région terrienne dont la cuisine jouit d'une réputation flatteuse. On y prépare de la panse de brebis farcie. "Lorsque l'on m'en a servi", m'a dit un Terrien, "j'ai cru que c'était de la merde ; quand je l'ai mangée j'ai regretté que ce n'en fût pas". C'est vous dire que la merde doit être un plat particulièrement fin et délectable. J'ai hâte d'y goûter.

Il y à peu, l'on m'a invité dans un celèbre restaurant et je me suis régalé. Lorsque le cuisinier (un certain Bokuz, je crois) s'est approché de notre table, je lui ai dit, de mon mieux, que sa nourriture valait la merde. Je me suis retrouvé assis sur le trottoir, preuve que les artistes de la casserole n'aiment pas les compliments. Bien que de manifestation un peu rude, je prise assez cette humilité.

Mais j'en reviens à mon restaurant écossais, qui paraît-il n'est pas écossais, mais américain, ce qui n'a pas laissé de m'inquiéter. Les Américains seraient assez primitifs, car, à en croire un Terrien, "c'est le seul peuple qui ait glissé de la barbarie à la décadence sans passer par la civilisation". Cette peuplade aurait été découverte par un certain Colomb dont le rôle paraiît controversé : il a bien agi selon les uns, mais d'après les autres il aurait mieux fait de se casser une jambe. Petite parenthèse : les Terriens n'ont que deux jambes comme vous et moi, et ce ne sont pas de petits hommes verts comme on le raconte chez nous. On en voit de toutes les couleurs. Mais pas des verts.

Nous nous sommes donc rendus à l'établissement américain en question et là on nous a vendu très cher des petits "gadgets" en plastique. En prime on nous a remis un carton qui contenait des frites desséchées et diverses choses ni identifiables ni à première vue comestibles.

Assez embarassé par ces objets dont l'utilité ne m'apparaissait pas, j'ai trouvé une place sur un coin de table et un bout de banquette. Et j'ai attendu le maître d'hôtel et sa carte. Je les ai attendu longtemps. En vain.

J'ai alors regardé comment s'y prenaient les autres clients. Eh bien, il avaient perdu patience et avalaient le contenu de leurs cartons ! Ils ne paraissaient pourtant pas vraiment affamés.

En réalité, la plupart d'entre eux étaient des enfants. Sans doute subissaient-ils une punition : "Si tu n'es pas sage, tu iras déjeuner chez..." (je n'arrive toujours pas à prononcer le nom).

Cela semble bien sévère. Quant à l'homme qui m'avait amené là, c'est un farceur. Ca se passe comme ça chez les Terriens.

Daniel Raffard de Brienne

(Extrait de "Les lettres martiennes", éditions de Chiré, 1995)

 

Les commentaires sont fermés.