Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Lecture critique de "Vérités sur le Saint-Suaire"

    Gérard Lucotte revisite de fond en comble le Linceul de Turin

    Lessives, sang d’animal et photographie…

    Je viens de lire – avec indignation – le dernier livre de Gérard Lucotte, scientifique de haut vol (au point de sembler être spécialiste à peu près en tout), sur le Linceul de Turin.Vérités sur le Saint-Suaire, tout juste publié par l’Atelier Fol’Fer, présente des Etudes scientifiques récentes sur le Linceul de Turin. Loin d’être une présentation de tout ce que cette insigne relique a révélé lors de multiples études de toutes sortes, il s’agit de découvertes annoncées par l’auteur à partir de l’observation, au microscope électronique, d’échantillons obtenus par des voies détournées et sans possibilité de contrôle auprès de personnes y ayant eu accès jadis ou naguère. C’est un premier point, que d’ailleurs revendique l’auteur qui signale l’arrêt officiel de toute recherche sur le Linceul depuis 2002, le Centre de sindonologie de Turin ne communiquant plus aucun fragment ou échantillon à soumettre à l’analyse. Les autorités ecclésiastiques chargées de la garde du Linceul, qui viennent d’organiser une ostension qui a attiré des millions de fidèles, n’ont agréé Lucotte d’aucune façon.

    Les assertions de Gérard Lucotte sont telles que je veux en parler tout de suite. D’autant qu’elles avaient été précédées par ses écrits et ses déclarations sur la Sainte Tunique d’Argenteuil en 2007 qui me semblaient franchement insupportables : cette relique-là révèle, selon le chercheur, que l’homme de la Tunique était affecté d’une maladie génétique, qu’il avait des « morpions » et qu’il était « opiomane » – et je ne parle pas ici de déclarations privées plus scabreuses que l’on m’a rapportées de diverses sources.

    Donc : voici des « découvertes » de Lucotte sur le Linceul. Elles portent sur des fibres de lin, des pollens et autres poussières et matières organiques ou non recueillies par exemple sur le filtre d’un aspirateur utilisé pour nettoyer le Linceul, tous matériaux obtenus « par la bande » et dont l’authenticité n’a d’autre assise que la foi accordée par le lecteur à l’auteur.

    Je dis bien le lecteur lambda, au rang desquels je me situe. Dans la foule d’affirmations et d’explications extrêmement détaillées sur une masse de sujets d’étude forts différents, traités de manière apparemment très objective (mais j’ai retrouvé, lors d’un « carottage », au moins une page pompée directement sur le très incertain « wikipedia »), l’acheteur ordinaire du livre ne saura faire un tri avisé. Peut-être ces descriptions générales du rouissage du lin à l’obtention du blanc de céruse en passant par l’identification des lessives qui « lavent plus blanc » sont-elles exactes. Je n’ai pas les moyens de vous le dire.

    Mais comme Lucotte écrit un livre de vulgarisation sans passer par l’étape de la publication d’un papier scientifique dans une revue du même métal, en avançant quantité d’observations, de mesures et d’interprétations totalement inédites, je demeure à mon niveau de journaliste non spécialisé : dubitative.

    Et sur le simple plan de l’analyse raisonnable, interloquée.

    Admettons donc – il n’y a pas de raison a priori de mettre la sincérité de Gérard Lucotte en doute – que tous ces objets divers observés (seul ? sans une équipe ? Cela paraît impossible) sur le Linceul de Turin y soient vraiment. Visite guidée.

    *

    • Pour Gérard Lucotte, le linge acheté par Joseph d’Arimatie était blanc à l’origine, comme l’indiquent pour lui les mots « lenzuolo candido » utilisés par saint Matthieu… en parfait italophone ? (Soyons honnêtes : ailleurs il cite les mots « sindon munda » !). Blanc puisque traité, et pourtant aujourd’hui « coquille d’œuf » comme le lin non blanchi que les brodeuses connaissent bien et dont il est difficile de retrouver la teinte écrue lorsqu’il s’éclaircit au fil des lavages : au « mieux », la toile jaunira avec l’âge, mais ce n’est pas la même chose.

    • Par la suite (mais on ne suit pas toujours bien les explications successives de Lucotte), l’auteur assure que le Linceul a été blanchi à plusieurs reprises par l’application de plusieurs pigments et de plusieurs mordants pour les fixer afin de le blanchir, anciennement peut-être au blanc de céruse et récemment – après 1810 – au sulfate de baryum qu’on fabrique depuis cette date-là. Il parle de « couche picturale » dont il a donc pu voir les « résidus ».

    • A côté des pigments blancs, Gérard Lucotte affirme avoir trouvé, adhérant aux fibres de lin examinées à des grossissements extraordinaires, des pigments rouges, ocre, rouille, jaunes. Vous rappelez-vous les assertions très controversées de Walter McCrone qui affirmait avoir trouvé tous ces pigments et qui en déduisait que l’image du Suaire résultait de l’application de ces pigments avec les doigts, puis – hypothèse ultérieurement formulée – par des procédés de peinture plus classiques ? Eh bien, Lucotte a trouvé, comme McCrone, de l’oxyde de fer et d’autres éléments indiquant l’existence de peintures sur le Linceul. Elles ont sans doute servi à « renforcer les taches de sang », ou à rehausser l’image, croit-on comprendre, au fil d’au moins deux pigmentations différentes.

    • Passons rapidement sur la présence d’une « micro-météorite » supposée (pourquoi pas, après tout) pour arriver aux traces de terre trouvées par certains chercheurs au niveau des images des pieds et des genoux. Lucotte récuse « certains » auteurs (en note, on comprend qu’il s’agit de Daniel Raffard de Brienne) qui évoquent la présence d’aragonite, composante qui signerait la provenance du Linceul puisqu’elle est caractéristique de la région de Jérusalem. Non, non, répond Lucotte : sous la forme où elle est présente, l’aragonite du Linceul indique la présence d’un pigment blanc qui en contient. Le sol foulé par l’homme du Linceul est « quelque peu argileux », avec une « coloration rouge ou brunâtre ».

    • Il y a des scientifiques qui consacrent leur vie à l’étude d’une discipline. Celle des pollens, par exemple. Gérard Lucotte n’est pas de ceux-là. Il indique avoir travaillé depuis 2007 sur les échantillons du Linceul qu’il a pu obtenir, et – à côté de ses observations sur les acariens, les pigments, les moisissures, les hématies, éléments métalliques, terreux, textiles qu’il identifie absolument tous avec âge et éventuellement procédés de fabrication – il s’est livré à l’étude critique de toutes les observations et conclusions avancées par des spécialistes antérieurs : Max Frei, aujourd’hui disparu, ou Baruch et Danin, deux universitaires israéliens qui font autorité sur la flore de leur pays et du Proche-Orient. L’étude des pollens du Linceul, nous avait-on dit au terme de publications fort sérieuses, révèle l’origine palestinienne du Linceul et indique même que le Christ a été mis au tombeau comme cela se fait encore de nos jours chez les chrétiens de la région : entouré de fleurs. Balivernes que tout cela ! Dans Vérités sur le Saint-Suaire, Lucotte assure qu’il n’a pu identifier aucun pollen de cette région-là, seulement des pollens récents d’espèces « d’origine européenne uniquement ». Et de dénoncer la pauvreté des illustrations publiées par les autres auteurs… Ce qui est une manière de les disqualifier, eux.

    • Pour Gérard Lucotte, le Linceul révélerait aussi avoir été ignifugé trois fois, dont une récente, avec du mica. Il le fallait bien, puisqu’il ajoute foi, en le citant étrangement, comme s’il s’était agi de la relation d’un témoin oculaire et non de l’allégation d’une chose qu’on racontait généralement, à quelques propos d’Antoine de Lalaing, généralement peu pris au sérieux dans les milieux sindonologiques. Ce voyageur des temps jadis relate ainsi une ostension qui eut lieu en 1503 et évoque l’« ordalie » à laquelle le Linceul aurait été soumis : plongé dans l’huile bouillante, passé au feu sans brûler et sans que son image se fût altérée.

    On imagine bien des chrétiens de ces années-là faisant protéger militairement la relique pour la montrer au peuple avant de la mettre au feu… Curieusement, Gérard Lucotte n’a pas trouvé dans son catalogue de restes ceux d’une friture plusieurs fois centenaire. Regrettable omission.

    • En revanche il y a du soufre, et des fragments de bois d’allumettes industrielles fabriquées à partir de 1844, puisqu’après cette date on a dû « honorer » le linceul en posant des bougies dessus et en les allumant comme sur un gâteau d’anniversaire…

    • Le Linceul a été lessivé et relessivé au cours de son histoire. Même avec une lessive du XXe siècle, contenant des phosphates, dont l’efficacité sur les taches visibles de sang semble quand même du coup très en deçà de ce que nous promettent, et en général nous obtiennent les fabricants…

    Pardonnez mon ton trivial, mais là, Lucotte m’exaspère un peu. Ai-je vraiment besoin d’un livre sur le Saint-Suaire pour apprendre ceci ? « On peut faire sa lessive à la main, au lavoir, dans une buanderie, ou à la laverie ; à la maison la lessive peut se faire dans une lessiveuse ou dans une machine à laver (lave-linge). » (Cette citation-là est à quelques mots près tirée de l’article « eau » du blog régionaliste belcaire-pyrénées.com !)

    Sérieusement, imagine-t-on qu’une relique portant la trace du très précieux Sang de notre Sauveur, serait soumise à un lavage ? C’est, comme dirait Sherlock Holmes, pire qu’impossible : improbable. Psychologiquement ahurissant. Historiquement à l’opposé de la manière dont sont conservés les vases contenant ce qui reste de miracles eucharistiques passés. Là, tout simplement, je n’y crois pas. A tort peut-être. Mais de preuves, je n’estime pas en trouver dans le livre de Lucotte.

    • Mais c’est que je suis sans doute bien trop crédule quand je lis, ici ou là, dans des publications anciennes et modernes de la sindonologie, que le Saint-Suaire de Turin porte sur lui du sang, le Précieux Sang de Jésus-Christ. Pour Lucotte, venu là encore contredire bien des scientifiques et bien des recherches, il y a en effet du sang sur le Suaire, puisqu’il a vu des hématies, « rares », « isolées » anciennes et récentes. Sur les 64 hématies étudiées, seules 9 sont d’origine humaine, et elles sont « récentes », assure Lucotte. Les 55 autres sont d’origine animale, probablement de grands animaux comme le bœuf ou le cheval, dont 56 % récentes et le reste anciennes et même « très anciennes », et résultent de dépôts successifs sur le Linceul.

    « Mais si c’est du sang d’animal », observe mon fils de 8 ans qui m’entend raconter cela, « alors ce n’est pas un saint suaire ! » Je ne le lui fais pas dire.

    • Mais alors qu’est-ce que le Linceul – terme que Lucotte préfère à « Saint-Suaire », et on le comprend.

    Eh bien, Gérard Lucotte y a trouvé, omniprésentes, partie « intégrante » du linge puisqu’adhérant à ses fibres et nichées dans ses interstices, des microbilles de silice recouvertes d’argent. Probablement une solution liquide, assure-t-il ; du nitrate d’argent (oui, il y a aussi de l’azote dans ces microbilles). Qui dit nitrate d’argent dit « argent », et « argentique », et donc « photo ». Et de renvoyer le lecteur vers un site de bricolage où l’on apprend comment fabriquer du « papier salé », procédé très ancien précurseur du daguerréotype, en rappelant que le principe de la chambre obscure était connu dès le IVe siècle av. J.-C. On apprend aussi au passage que les daguerréotypes qui nécessitent un long temps d’exposition étaient volontiers réalisés au XIXe pour « immortaliser » le doux visage d’une jeune femme morte en couches… Ou un enfant mort-né… Quant au « papier salé », selon sa durée d’exposition, on apprend qu’il peut donner une image négative, que celle-ci « se forme dans les fibres du papier » (en gras dans le texte) et se révèle dans une jolie « couleur sépia ».

    Ce chapitre sur la formation de l’image est dédié à André Marion, spécialiste d’optique, membre fondateur de l’Académie d’Ufologie (science des OVNIS), avec qui Lucotte avait cosigné un précédent ouvrage sur le Linceul, et qui est mort « soudainement » l’an dernier.

    *

    Et voilà ! Bingo ! L’énigme du Linceul est résolue ! Le Linceul est peut-être très ancien, mais de là à croire qu’il comporte une image non faite de main d’homme…

    Que cherche à dire Lucotte ? Ce qu’il a vu, sans doute, mais dans un regard dont la foi est absente, et en tirant ses conclusions à lui. Et pourquoi, en vue de quoi ? Là, on entre dans un autre domaine. On sait l’homme incroyant, fasciné par les reliques du Christ, « l’Homme le plus extraordinaire, que je n’ai jamais rencontré » comme il le dit dans une étrange (auto ?)-interview à la fin de son livre. La faute de français est trop flagrante pour ne pas être voulue et significative. De même Lucotte prend-il toutes sortes de biais pour ne pas dire qu’il croit le Linceul « authentique ».

    Son livre donnera sans doute lieu à des réponses scientifiques. Je ne ressens pas le besoin de les attendre pour dire, à mon modeste niveau, que ce genre… d’OVNI littéraire n’est pas de nature à promouvoir la vénération du Linceul de Turin, tout comme son livre sur la Sainte Tunique tend à ridiculiser et discréditer l’adoration de Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai Homme.

    J.S.

    Article paru dans Présent daté du 28 mai 2010.