Avis aux amateurs de chroniques, billets d'humeur et surtout d'humour : dans le courant de l'année 2010 et plus précisément au cours du second semestre, nous éditerons un recueil de chroniques et billets que Daniel Raffard de Brienne publia dans Le Libre Journal de Serge de Beketch.
Des centaines de brèves chroniques dans lesquelles l'auteur laisse libre cours à un insatiable humour, passant au crible vie politique et faits de société, comme on dit maintenant. Sous les pseudonymes de Séraphin Grigneux, obscur écrivain travaillant à façon, en qualité de nègre pour les plus grands auteurs contemporains et de Papy Grognon, monsieur âgé, un tantinet bougon et critique, Daniel Raffard de Brienne s'autorisait un genre littéraire très différent de celui qui l'amenait à traiter les sujets les plus sérieux et complexes.
Voici, à titre d'exemple, sélectionnées parmi plusieurs centaines, quelques-unes de ces chroniques dont certaines paraissent d'une troublante actualité.
Le 8 septembre 1994
Je suis furieux. Fu - rieux. Un plaisantin a cru malin de répandre, dans le petit monde des écrivains de complément, un bruit qui me fait l'assistant d'écritoire de Marguerite Duras. C'est encore une chance que mes clients me connaissent, sinon j'y perdrai ma réputation. Il est vrai que, finances obligent, j'œuvre parfois dans l'érotisme torride et le sordide. Selon une opinion courante, les bons sentiments ne font pas de la bonne littérature. Mais, tant pis pour Duras, les mauvais sentiments ne remplacent pas le talent.
J'espère que le sot canard plaisantin s'étouffera de lui-même puisque personne de la corporation n'accepterait d'écrire du Duras tel qu'il est. Nous ne sommes que de modestes tâcherons, c'est vrai, mais nous avons notre fierté. Il est par ailleurs regrettable que les amateurs incompétents se hasardent à écrire eux-mêmes leurs livres, alors que tant d'hommes politiques et quelques romanciers populaires se satisfont de signer de confiance d'honnêtes ouvrages qu'ils n'ont point toujours lus. A mon avis, il serait temps de réglementer le métier d'écrivain ; un diplôme peut-être, un permis en tous cas. Il est curieux que le parlement de Strasbourg qui légifère sur tout, qui fixe le volume des chasses d'eau et le nombre de tours de spires d'escargots, n'ait pas encore défini les normes européennes de l'écrivain.
Le 3 novembre 1994
Toujours le calme plat. Rien à signaler sur le front du travail, si ce n'est quelques textes publicitaires pour « Roudoudou le régal du toutou ». La télévision fera bientôt connaître aux masses admiratives mon œuvre heureusement anonyme. Dans le style : « il s'en lèche les papattes le trésor à sa Mémère ». On m'a refusé : « ah ! si les petits Ethiopiens avaient eu du Roudoudou ».
Par bonheur l'approche des élections présidentielles mettra fin au marasme. Les candidats voudront publier, au terme de cogitations supposées, leurs « solutions pour sortir de la crise », des solutions qu'ils se gardaient d'appliquer quand ils étaient au pouvoir. A tout hasard, je prépare là-dessus un livre pour l'un d'entre eux. N'importe lequel. Il n'y aura que des ajustements de détail à faire selon le client. De toute façon les thème ne change pas, c'est toujours : « demain on rase gratis ».
Tout cela me laisse le loisir d'éplucher un livre fort curieux : « L'argent et la politique (1). L'auteur, Henry Coston, y publie les subventions déclarées par les candidats aux législatives de 1993. La plupart de ces subventions viennent de sociétés capitalistes, mais bien entendu ne figurent pas les fonds occultes, pots-de-vin, fausses factures et toutes autres choses que l'on dit des plus répandues.
On voit que les « ténors » de la majorité ont bénéficié d'aides substantielles. Si Balladur, aussi discret dans la dépense que dans l'efficacité, s'est contenté de recevoir 164.000 francs, les autres ont palpé davantage : Chirac, Séguin, Méhaignerie, Giscard, Barre, Baudis, Million sont inscrits, dans l'ordre, pour des sommes allant de 300 à 600.000 francs. Il a même fallu monter jusqu'à 660.000 pour Toubon dont l'inconsistance rendait le cas plus difficile.
Situation identique à gauche. La même fourchette de prix s'applique dans l'ordre à feu Bérégovoy, Chevènement, Labarrère, Lang le magnifique, Mellick le témoin ubiquiste de Tapie et tutti quanti. Même le communiste Gayssot, auteur de la loi qui, en la réservant aux bien-pensants, sublime la liberté de la presse, a reçu le soutien du gros capital.
Nos inculpés eux-mêmes, que l'on soupçonne de s'intéresser aux finances défendues, ne dédaignent pas les finances autorisées. Longuet, Léotard, Emmanuelli s'inscrivent dans la fourchette. Carignon et Tapie dépassent même Toubon. Et avec Noir c'est Byzance : plus d'un million.
Je remarque que les malheureux adversaires de tous ces heureux élus n'ont, dans l'ensemble reçu aucune aide ou ont dû, au mieux, se contenter de pourboires. J'en conclus que c'est donc l'argent qui, à quelques exceptions insignifiantes près, assure les élections.
Comme il se trouve d'autre part que l'organisation des scrutins coûte cher aux contribuables et n'amuse plus personne, il m'est venu une idée simple et lumineuse. Il suffirait de déclarer élu dans chaque circonscription le candidat ayant ramassé le plus d'argent. Bien entendu il ne serait pas question de dilapider les sommes collectées en prospectus électoraux pollueurs de caniveaux, ni en tournées apéritives génératrices de cirrhoses. On les utiliserait à boucher le trou de la Sécu.
(1) Henry Coston, L'argent et la politique (publications H.C.), 150 p., 75 F.
Le 29 novembre 1994
Un obscurantisme succède à un autre. Après les fanatiques, les charlatans. Certaines revues remplissent des pages entières d'annonces de voyants et astrologues. Je me suis amusé à en parcourir quelques-unes. Et j'ai remarqué une chose surprenante : suivant sans doute les tarifs des annonces ou le standing des supports, il n'y à pas d'égalité dans la voyance. On pourrait même parler d'astrologie de classe. Il y à, d'un côté, les extra-lucides populaires qui font probablement espérer à leurs clients modestes un gain au Loto et les effusions d'une mignonne arpète. Et, de l'autre, la crème de la voyance qui ne peut prédire moins que le gagnant du derby d'Epsom ou l'adultère mondain.
Télé 7 jours n'a rien d'une revue élégante, mais leurs tarifs justifiés par son tirage en réservent les annonces au haut de gamme de la voyance. Ici, point de Madame Irma avec son marc de café rebouilli. Rien que des prénoms sans qualificatif, comme sur les cartes d'invitation aux cocktails des grands couturiers : Marie-France, Solange, Anne-Claire, Gabrielle, Pascaline, Patricia et une vingtaine d'autres. Quelques patronymes, comme celui d'Eliane Soleil, « la célèbre astrologue », que je suppose fille de l'autre, plus célèbre encore. Certaines s'essaient même au port de la particule, comme Anouk de Winter, « médium occultiste », et Diane de Chagalle, « une amie qui vous aide » ; sans doute ces dames tirent-elles le tarot en levant le petit doigt. Une autre, Gaya, fait savoir qu'elle a droit à deux étoiles dans le guide des « Meilleurs voyants de France », tandis que Liza est « classée parmi les 5 premiers voyants de France » et qu'Alix est « étoile d'or » de la voyance. Rien que du beau linge, quoi.
Pas moins de trente-huit annonces alléchantes vous promettent dans Télé 7 jours de vous découvrir par téléphone un avenir heureux, grâce à une « voyance pure », « de qualité », « de haut niveau », « directe » ou même « flash ». Et tout cela à des prix très variés dont l'éventail n'est sans doute pas sans rapport avec celui de la justesse des prédictions puisque les dames à guides et étoiles prennent carrément 300 francs de la consultation. Au-dessous, on vous consent des tranches de dix minutes à 150 francs. Suivent des besogneuses dont les dix minutes reviennent à 30 francs, mais vraisemblablement est-ce là une entrée en matière plus juteuse. Certaines offrent même une « voyance gratuite », mais un discret « hors coût de communication » la ramène plus raisonnablement au cas précédent.
Voilà pour le haut du pavé de la voyance. Il me reste à étudier un jour prochain les annonces de l'astrologie plébéienne, celle qui promet à Carmen un paradis ancillaire pendant que Madame se fait tirer des tarots dorés sur tranche.