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Monseigneur Lefebvre. Il a sauvé l'honneur de l'Eglise

Mgr. Lefebvre.jpgMardi de Pâques 1991. Le soleil n’a pas encore franchi les Alpes Pennines, mais il illumine déjà la vallée du Rhône. La neige qui couronne l’autre versant montagneux étincelle dans le ciel bleu. La chaude lumière du matin chassera peu à peu l’ombre fraîche de la pente où s’élèvent les bâtiments du séminaire d’Ecône. Face à la vallée et aux montagnes éclairées, une tente immense se dresse dans la prairie au-dessous du séminaire.

Tout à l’heure y sera célébrée la Messe de funérailles de Mgr Lefebvre. Les quatre mille places assises de la tente sont déjà occupées. On remarque dans les premiers rangs une bonne centaine de religieuses représentant les congrégations « traditionalistes ». Seules manquent les cloîtrées qui, comme les carmélites des sept couvents fondées par la sœur de Mgr Lefebvre s’unissent par la prière à la cérémonie.

Un flot ininterrompu de fidèles monte vers la prairie. Ils seront peut-être dix mille à se serrer entre la tente et le séminaire. Certains viennent de très loin. Les Français sont nombreux. On voit beaucoup moins de jeunes gens que dans les chapelles et les pèlerinages « traditionalistes » : l’école et le métier ont leurs exigences. On remarque néanmoins de ces familles nombreuses, sages et épanouies, qui préparent le retour à la tradition.

Tradidi et quod accepi : « j’ai transmis ce que j’ai reçu ». Cette phrase, dont Mgr. Lefebvre voulait faire l’épitaphe de sa tombe, résume l’action de toute sa vie. Et ce qu’il a reçu, il a commencé à le recevoir au sein d’une famille semblable à celle que nous voyons dans la prairie d’Ecône.

Marcel Lefebvre vit en effet le jour à Tourcoing en 1905 dans une famille nombreuse attachée à la Tradition catholique et française. Une tradition vécue. Tradition française : arrêté en 1941 pour des actes de résistance, Monsieur Lefebvre devait mourir dans un bagne allemand en 1944.

Tradition catholique : toute la vie familiale en était imprégnée. Mme Lefebvre vivra et mourra comme une sainte. Cinq de ses enfants entreront en religion.

Troisième des cinq, Marcel reçut aussi beaucoup du séminaire de Rome où, entré à 18 ans, il resta six années. On l’y remarqua pour sa douceur et sa sérénité qui lui valurent le surnom de « l’ange du séminaire ». Mais, surtout, il y acquit une sûreté et une solidité doctrinales exceptionnelles sous la direction du célèbre Père Le Floch. Il en sortira avec les titres de docteur en philosophie et de docteur en théologie.

Fondateur de séminaires

Prêtre en 1929, il se tourne vers les missions d’Afrique après un an de vicariat dans la région lilloise. Devenu Père dans la congrégation du Saint-Esprit, il restera au Gabon de 1932 à 1945 comme professeur de dogme puis directeur du grand séminaire de Libreville.

De profondis clamavi ad te Domine : « du fond de l’abîme je crie vers vous Seigneur ». Il est maintenant neuf heures. Tandis que la chorale chante des psaumes, un long cortège descend lentement du séminaire vers la tente de la prairie. D’abord sur les deux files, une vaste cohorte de séminaristes en surplis blancs : ils viennent des six derniers séminaires fondés par Mgr. Lefebvre, celui d’Ecône et ses cinq frères les plus récents. Depuis Libreville, le Père Marcel, comme on l’appelait en Afrique, a toujours eu pour premier souci de fonder des séminaires afin de donner à l’Eglise de saints prêtres bien formés.

Derrière les séminaristes, avancent plus de deux cents prêtres. Des robes de bure de différentes couleurs se mêlent aux soutanes ; elles revêtent les représentants des monastères et communautés « traditionalistes ». Prêtres séculiers ou religieux, la plupart doivent leur ordination à celui dont le cercueil nu apparaît maintenant porté sur leurs épaules par six prêtres choisis parmi les premiers collaborateurs.

Le supérieur de la Fraternité Saint Pie X, l’abbé Schmidberger, ferme la marche avec les quatre jeunes évêques sacrés en 1988 par Mgr. Lefebvre. L’un d’eux, Mgr. Tissier de Mallerais, va célébrer la messe de funérailles.

Les sacres de 1988 n’étaient pas les premiers de Mgr. Lefebvre. Jouissant de l’estime et de la confiance du grand pape Pie XII, la Père Marcel, évêque dès 1947, avait été nommé en 1948 délégué apostolique pour toute l’Afrique francophone.

Son œuvre reste vivante

On vit dès lors, pendant des années, Mgr. Lefebvre sillonner inlassablement la savane et la forêt africaines, créant des diocèses, fondant des monastères, construisant des églises, ouvrant partout des écoles. Son œuvre fut considérable et, bien que gravement endommagée à la suite du Concile, elle reste encore vivante.

Devenu en 1955, le premier archevêque de Dakar, il laissera dès 1962 son siège à l’un de ses disciples africains. Il prend alors, comme supérieur général, la direction de sa congrégation, celle des Pères du Saint-Esprit, la plus importante des congrégations missionnaires.

Bannis des voûtes des cathédrales, les chants montent vers la voûte azurée des cieux. La « modern’ liturgie » s’est privée de la splendeur des Messes de requiem. Trop tristes, paraît-il, comme si la mort était devenue gaie.

La cérémonie se déroule, non pas triste, mais sérieuse, sereine, harmonieuse, majestueuse. « Donnez-leur, Seigneur, le repos éternel et que votre lumière luise à jamais sur eux ».

La mort, c’est le passage. Le repos pour le juste, mais d’abord le jugement. Il n’y à pas de jugement que n’accompagne la crainte. La chorale et les fidèles entonnent maintenant : Dies irae, dies illa : « jour de colère que ce jour-là ».

Jour de colère, jour de deuil que celui où Jean XXIII ouvrit le Concile dont ses prédécesseurs avaient ajourné le projet lorsqu’ils eurent constaté la place prise dans l’Eglise par l’hérésie moderniste vainement condamnée par saint Pie X. Le pape avait cru parer au danger en confiant l’organisation de ce Concile à une commission préparatoire doctrinalement sûre, dont Mgr. Lefebvre faisait partie.

La catastrophe du Concile

Vaine précaution, car, par une sorte de coup de force, la faction moderniste prit le Concile en main dès son ouverture. Mgr. Lefebvre, aidé de quelques autres évêques, combattit la subversion, mais la masse des pères conciliaires, trop nombreux et mal informés, ne chercha même pas à résister.

La tempête, on le sait, ébranla et même détruisit en grande partie le vénérable édifice de l’Eglise. Les Pères du Saint-Esprit ne furent pas épargnés et, pour ne pas entériner la dérive, Mgr. Lefebvre dut renoncer en 1968 à son mandat de supérieur général.

Il ne renonça pas pour autant à la lutte. Bien au contraire. S’il ne pouvait empêcher la destruction, du moins voulut-il commencer la reconstruction dans la fidélité à la Tradition bimillénaire. Dès 1970, c’est la fondation de son premier séminaire qui s’installe à Ecône l’année suivante avec les autorisations religieuses officielles. Le mal ne cesse de s’étendre. Ecône est menacé. Mgr. Lefebvre, en 1974, dénonce la Rome néo-moderniste et post-protestante. Romme riposte par un simulacre de procès et une condamnation à la suspense en 1976.

Inévitable rupture

L’œuvre se développe cependant avec beaucoup de vigueur et se développe dans le monde entier. Mgr. Lefebvre sait qu’il ne vivra plus longtemps et qu’il doit assurer la survie après lui de ses fondations. Faute de pouvoir compter sur Rome, il prend la seule décision raisonnable en sacrant des évêques en 1988.

Mgr. Lefebvre a rempli sa mission. Il ne lui reste plus, après toute une vie de prière et de lutte, qu’à attendre l’heure du repos. Elle ne tarda pas.

Le 8 mars 1991, il célèbre sa dernière messe et, malgré les souffrances qu’il ressent depuis la veille, il part pour Paris. Mais il faut le rapatrier d’urgence en Suisse et l’hospitaliser à Martigny. Le 11, conscient de son état tout en gardant son humour souriant, il reçoit l’extrême-onction. Le 15, on diagnostique enfin une grosse tumeur cancéreuse que l’on opère le 18.

Le 23, il offre ses souffrances pour l’Eglise et pour la Fraternité Saint Pie X. Ce seront ses dernières paroles. Son état s’aggrave en effet et il s’éteint dans la nuit du 24 au 25.

La cérémonie se termine, la chorale chante In paradisum deducant te angeli : « que les anges te conduisent jusqu’au paradis ». La dépouille mortelle de l’évêque fidèle s’avance, portée dans son cercueil nu, accompagnée du cortège de prêtres entre deux haies de séminaristes. Elle remonte vers le séminaire où l’attend sa tombe. C’est là, au milieu des siens, que reposera celui qui, comme l’a dit dans son homélie l’abbé Schmidberger, « a sauvé l’honneur de l’Eglise ».

Daniel Raffard de Brienne

(article paru dans Le Choc du mois, n°40, mai 1991)

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