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Crise de la transmission de la foi

Le christianisme va-t-il disparaître.JPGRenaissance catholique publie systématiquement les interventions des conférenciers animant ses universités d'été. Cela donne la plupart du temps de beaux ouvrages d'environ 300 à 350 pages, dotés d'une jaquette de qualité. Ces ouvrages constituent de véritables mines d'intelligence et de doctrine qui devraient figurer dans toute bonne bibliothèque.

Les textes des conférences données au cours de l'été 2001 n'ont été publiés qu'en juin 2007 et parmi ceux-ci, un long article de Daniel Raffard de Brienne, intitulé "Crise de la transmission de la foi". Nous vous en livrerons l'intégralité mais en plusieurs fois.

Crise de la transmission de la foi

 La transmission des principes, des connaissances et des raisons de croire est toujours et partout une chose délicate : « On ne naît pas chrétien, on le devient », selon les mots de Tertullien. Loin de se limiter à l’éducation des plus jeunes, elle met en jeu la totalité de la communauté de l’Eglise appelée à se pérenniser, à transcender la ligne de partage entre les générations. Dans toute perspective humaine non dévoyée, à plus forte raison dans la notion chrétienne de vocation, de piété filiale et de paternité, cette transmission constitue le premier des devoirs. Conformément à ses racines étymologiques (tradere, transmettre), elle doit normalement se définir comme un héritage affectif et moral légué par le passé et conservé vivant dans le présent. Le dépositaire s’inscrit dans une « lignée » et ne manque pas d’en avoir conscience. Les principes qu’il professe, la foi qu’il embrasse, il sait que d’autres avant lui les ont défendus ; les valeurs pour lesquelles il combat, d’autres les ont incarnées ; les gestes qu’il fait, d’autres les ont accomplis. La notion d’enracinement conserve ici sa signification essentielle. Le passé demeure une réalité immédiatement sensible dans les pensées, la mémoire, les attitudes et comportements. Il est d’ailleurs singulier que la tradition soit définie autant par l’avenir que par le passé. Le passé renferme le « talent » donné à faire fructifier, mais c’est l’avenir qui oblige l’Ecclesia qui l’a reçu à se préoccuper de le transmettre. C’est l’avenir qui indique dans quel langage, avec quelles clefs il convient de le présenter aux générations futures qui devront à leur tour le transmettre. Dans quelle mesure chacun doit-il se considérer, pour l’essentiel de son être, comme le dépositaire passager d’un héritage lentement accumulé à travers le temps, le témoin, le mainteneur et l’agent de transmission au regard duquel la date de naissance n’a plus guère qu’une relative importance ? La tradition est immuable quand le groupe qui en est le gardien conserve sa cohésion et sa durée ; la tradition est condamnée à l’altération et à l’effacement quand le groupe s’effrite et se disloque. On comprend dès lors qu’il existe une bonne et une mauvaise manière de transmettre. Son particularisme n’est plus clairement reconnu. Elle ne s’attache plus à assurer la permanence et la défense de son identité propre. Cette crise est alors conçue comme un phénomène de brisure : c’est sur les fossés entre les générations que se trouve mise l’insistance bien plus que sur les ponts qui les relient. Les hommes ressemblent alors plus à leur temps qu’à leur père. Les esprits deviennent dépendants des péripéties et des vicissitudes de l’immédiateté du présent sans trouver le fil qui les relie à l’épaisseur du passé. A ce risque de dépérissement s’ajoute le risque d’une rupture brutale, lorsqu’un événement vient rompre ou paralyser la possibilité même de la transmission : révolution, génocide, bouleversement ecclésial. Les repères sont alors ébranlés dans leurs fondements et les rouages de transmission sont dispersés ou anéantis. Il n’est plus alors question que de survie, au risque de perdre le lien qui relie les générations. L’éventualité d’une reprise dépend dès lors de la capacité de refondation des familles, de la persistance de soutien ou de relais (les monastères par exemple), de l’importance des élites, c’est-à-dire de personnes déterminées, conscientes des biens à sauver et prêtes à se sacrifier pour les propager. Cela présuppose la pérennité d’un vivier humain ayant conservé un lien fort avec le passé collectif en voie d’abolition. Dans une période de carence des canaux ordinaires de la transmission de la foi, c’est même à ce milieu, en fait une gamme assez diverse de résistances, qu’incombent la charge de l’avenir, la continuité de la transmission. Cette charge écrasante est possible à assumer à la condition impérative d’en être conscient et de vouloir transmettre de façon efficace.

Ce rappel des enjeux posé, il convient maintenant de mesurer en détail l’amplitude de la crise de la transmission de la foi subie depuis le concile Vatican II.

« La catéchèse, disait le cardinal Billé, traverse un temps de crise, voire même de rupture. Il ne s’agit pas simplement de statistiques de baisse de rentrées ou de difficultés à recruter. Il s’agit d’abord d’un constat. De plus en plus de jeunes et d’adultes sont étrangers à la foi chrétienne, même parmi ceux qui participent à la catéchèse » (Discours d’ouverture de l’assemblée plénière des évêques de France en 2001 qui lance le « chantier » pour « refonder les pratiques de la catéchèse »). Effectivement, le bilan de trente années de « renouveau » est extrêmement inquiétant. Ceux qui observent l’évolution de la catéchèse en France depuis quelques années notent des phénomènes préoccupants : une baisse certaine des effectifs, une difficulté non moins certaine à renouveler le personnel disponible pour cette mission dont les compétences se font de plus en plus rares, et une réelle incertitude quant aux « parcours catéchétiques » à proposer ». La dernière enquête réalisée par le Centre national d’enseignement religieux (CNER) date de 1994. A l’époque, environ un tiers des enfants était catéchisés, mais ce chiffre était extrêmement variable selon les diocèses : 13% en Seine-Saint-Denis, 80% en Moselle, département concordataire, en prenant les extrêmes. On estimait que le nombre d’inscriptions diminuait de 1% par an, 4% des enfants catéchisés ne seraient pas baptisés, avec, là encore, des disparités régionales (9% en région parisienne, 1% en Moselle ou en Lozère). Il y avait, en 1994, environ 129 000 catéchistes, soit un pour huit enfants, des femmes à 90%. 92% étaient des laïcs, 4% des prêtres, 4% des religieux ou des religieuses. Depuis 1994, on estime que pour la tranche d’âge des 8-12 ans, la fréquentation est passée de 62% à moins de 45%, une régression annuelle de 1,7%, nettement supérieure aux prévisions. Dans le diocèse de Coutances, estime aujourd’hui le responsable régional de la catéchèse, on est passé de 65% à 50%. Comme si, dans les régions de l’Ouest à forte tradition catholique, on se rapprochait à grands pas de la situation nationale. Si l’on ajoute à ces chiffres la difficulté plus grande de trouver des bénévoles compétents pour faire la catéchèse, on sent bien, sur le terrain, que la crise est profond dans une société qui ne vit plus dans le « bain religieux ». Pour les observateurs, un basculement de société sans précédent s’opère sous nos yeux : « On vit encore sur l’héritage de ce qui a été créé et mis en place lors du Concile de Trente (1545-1560). C’est comme si on tournait une page de quatre cents ans d’histoire. Il n’est pas anormal que cela prenne un peu de temps », dit le même responsable régional. Denis Villepelet, premier directeur laïc, depuis 1996, de l’ISPC (l’Institut supérieur de pastorale catéchétique fondé en 1950 et accueillant aujourd’hui 140 étudiants) à la « Catho » de Paris, n’hésite pas à évoquer une « crise de la transmission » qui affecte la catéchèse en France. « Ce qui est proposé ne fait plus sens », ajoute-t-il. Autrefois le catéchisme était là pour étayer la foi des enfants dont l’éveil était assuré tout naturellement à la maison. Aujourd’hui, les catéchistes sont déroutés. Marie-Téhrèse Perriaux, responsable du service diocésain de la catéchèse de Clermont-Ferrand, 50 ans, mère de quatre enfants, qui compte à son actif une formation théologique à l’ISPC, affirme sans ambages : « Les catéchistes sont pessimistes. (…) On a demandé à des personnes de faire du catéchisme en leur faisant endosser une énorme et difficile responsabilité, sans formation et sans filet ! (…) Chacun bricolait dans son coin. Nous avons fait en sorte que ce bricolage se fasse en plein jour. »

Depuis une dizaine d'années, les pasteurs sont donc particulièrement alertés, notamment par le fait que de plus en plus de jeunes accèdent au mariage sans avoir été catéchisés, dans l'ignorance de la notion même de péché. Le problème se complique : la catéchèse se dédouble désormais et s'adresse aussi de manière habituelle à des adutes qui demandent le baptême ou qui, baptisés, découvrent les choses de la foi comme "recommençants". En 1999, 2 500 adultes ont reçu le baptême durant la nuit de Pâques. Le nombre total de catéchumènes était de 11 000 personnes : 3 500 ont fait leur "entrée en catéchuménat", 2 400 se préparaient à la confirmation, 1 300 se préparaient à leur première communion. Plus de 80% avaient entre 18 et 40 ans, 36% venaient de milieux populaires, 11% se trouvaient en situation de précarité, 70% étaient des femmes. La plupart se déclaraient sans religion avant leur conversion. Le temps de formation dure environ deux ans.

A l'intérieur même du "caté" des enfants, un nombre conséquent d'entre eux ne sont pas baptisés ou issus de familles qui vivent dans l'indifférence ou dont les parents sont séparés, leur éducation chrétienne familiale n'étant de ce fait nullement assurée. Des problèmes d'organisation à incidence politique viennent se greffer sur ces difficultés : le président de la commission épiscopale pour la catéchèse, Mgr Dubost, évêque d'Evry, constate la difficulté de plus en plus grande de trouver du temps libre pour les catéchismes du mercredi, réservé par la loi à des activités de ce type. Certes, les statistiques de fréquentation les plus pessimistes ne représentent, par définition, que la surface des choses : on ne mesure pas en chiffres et bilans l'action du Saint-Esprit. Qui peut prétendre sonder les voies de la grâce ? "C'est le mystère même de la foi. Pour rénover, rendre neuf le Nouveau Testament, rendre neuf l'Evangile, il faut être des saints et, le premier obstacle, c'est que nous ne le soyons pas", précise Mgr Dubost. Cependant la religion du Christ est celle de l'Incarnation et l'action divine passe par des signes humains.

Longtemps le catéchisme a concerné la quasi-totalité de la population même non pratiquante. L'effacement de la culture chrétienne des Français, largement constatée aujourd'hui a pour cause, non pas unique mais directe, la crise catéchétique de la fin des années soixante. Certes, le public dominical avait déjà largement diminué et vieilli dès les lendemains du Concile, mais les enfants passaient encore presque tous par le catéchisme. Aujourd'hui, constatait déjà le rapport Dagens, du nom de l'actuel évêque d'Angoulême, approuvé par l'assemblée des évêques de France en novembre 1994, "pour beaucoup d'enfants de notre pays, l'initiation aux valeurs fondatrices de l'existence s'effectue en dehors ou à l'écart de la "tradition catholique". D'autant plus que cette tradition est souvent réduite à une "donnée culturelle" indépendante de la foi" (Proposition de la foi dans la société actuelle). Il faut préciser que l'absence de transmission des choses de la religion dans l'Eglise de France se fait en surimpression d'un autre constat autrement plus angoissant : elle devient inexorablement une Eglise sans prêtres, et donc, notamment, une Eglise dépourvue de ses enseignants de la doctrine chrétienne normalement désignés. Ce fait bouleverse les données du problème : l'attention se porte non plus sur les questions catéchitiques, mais sur l'importance qu'il convient d'accorder au poids de la continuité du sacerdoce dans la transmission de l'héritage chrétien. Dans les administrations diocésaines, il n'est plus question que de restructuration du tissu paroissial et de gestion par des laïcs de pans entiers de fonctions cléricales (enterrements, aumôneries de lycées et d'hôpitaux... et catéchèse) pour faire face à la pénurie exponentielle à laquelle les évêques sont confrontés. Cette crise du recrutement sacerdotal, qui n'a pas de correspondance depuis la période révolutionnaire, représente un ébranlement psychologique croissant pour le clergé (sauf pour ceus qui ont eux-mêmes encouragé la désaffection), mais aussi pour les communautés chrétiennes. Sans doute le catéchisme des enfants et des adultes ne peut qu'être confié aujourd'hui à des laïcs. Mais ce contexte de régression du nombre des pasteurs, ainsi que de la visible décadence du sacerdoce lui-même, est délétère pour l'exercice de la fonction pédagogique de la foi. Le témoignage d'un prêtre de 53 ans du diocèse de Verdun, "Etre prêtre dans les conditions d'aujourd'hui" dans le recueil Des ministres pour l'Eglise (Cerf, 2001), est assez déprimant pour un diocèse qui ne compte aucune vocation sacerdotale à ce jour : "Perspective très proche, dans laquelle nous sommes, de ne plus pouvoir proposer la forme individuelle de réconciliation aus enfants du catéchisme", "il faut être bien fort, et bien enraciné spirituellement pour vivre ces baisses dans la durée sans se décourager", "un horizon de mort", etc.

"Nous ne pouvons cacher notre inquiétude, disait encore le rapport Dagens, pour ce qui concerne en France la transmission de la culture religieuse et la place du fait religieux dans l'éducation." Le problème n'est évidemment pas circonscrit à la France : le cardinal José Policarpo da Cruz, partriarche de Lisbonne, évoque des problèmes analogues de crise de la foi, de doctrine et de morale dans les familles, de pressions conformistes sans cesse croissantes de l'école sur les enfants. Les évêques d'Italie constatent que,"dans sa forme plus massive et traditionnelle, la catéchèse ecclésiale montre des signes évidents d'une grave crise" ("Transmettre l'Evangile dans un monde qui change", 2001.

La crise de la transmission de la foi ne s'exprime pourtant pas, d'abord, en termes de moyens et d'effectifs. Elle est d'abord liée au contenu de ce qu'on a appelé "la nouvelle catéchèse". Délégué de la Commission épiscopale de la catéchèse et du catéchuménat, Mgr Albert Rouet, évêque de Poitiers, se demandait en 1999 quels critères pouvait retenir une personne en quête de conversion ("en recherche" selon le jargon). Sa réponse est caractéristique : "L'engagement de l'Eglise de France pour les immigrés, les pauvres, les blessés de la vie, constitue la véracité de son discours sur Dieu. Parler de Dieu passe par la capacité qu'on a de parler de l'homme."

Au Canada, dès 1966, les évêques avaient approuvé, avant sa publication, un nouveau catéchisme constitué d'un ensemble de documents de 3000 pages, comprenant des livrets pour les enfants, les catéchistes, les parents, le tout complété par du matériel audiovisuel. Cet ensemble anonyme était en provenance de l'Office catéchétique provincial de Montréal. Ce n'est pas faire de la polémique que de constater que ce catéchisme ne transmettait plus la foi catholique. Or s'il ne fut pas explicitement imposé,les évêques l'employèrent à une écrasante majorité dans leurs diocèses. Rapidement, toute personne opposée à son emploi fut considérée comme "déloyale" envers les évêques canadiens. Cette impression fut d'ailleurs confirmée par les évêques eux-mêmes. Des parents écrivirent à leur pasteur pour dénoncer la nouvelle catéchèse imposée et se constituèrent en associations pour réclamer le retour à un enseignement authentique de la foi. Il créèrent un réseau et diffusèrent des documents romains utiles aux catéchistes, tel le Credo prononcé par Paul VI en 1968 lors de la cérémonie de clôture de l'Année de la foi, mais délibérément ignorés par les responsables canadiens. Un programme radio, "Fortitude", et un magazine Challenge, tentèrent de briser l'unanimité de la presse catholique acquise à la nouvelle catéchèse. En vain. Or, il ne s'agissait pas seulement d'un changement de méthode pédagogique : c'est le contenu doctrinal lui-même qui y était subverti par une habile manipulation des esprits. Le catéchisme omettait l'enseignement du péché originel, n'enseignait plus clairement la divinité du Christ ni la place de la Vierge dan l'histoire du Salut. Il évitait de parler des anges, des miracles de l'Evangile, notamment lors de l'Annonciation, de la Nativité et des Noces de Cana. Il n'exposait pas le mystère de la Rédemption par le sacrifice de Jésus en croix. La messe était ravalée à un repas convivial : rien sur le sacrifice, la consécration ou la présence réelle. Les parents réfractaires furent tournés en ridicule. Des méthodes de pression psychologique lors des réunions et week-ends de recyclage furent déployées. Prêtres et parents en sortaient blessés et désorientés. Aujourd'hui, un autre catéchisme, Born of the Spirit, présentant les mêmes défauts que le premier, est encore imposé au Canada. Seuls certains parents réussissent à transmettre la foi à leurs enfants en les soustrayant à l'enseignement délétère du catéchisme officiel ou en complétant et redressant, au jour le jour, la formation déficiente reçue à l'école ou au catéchisme. 

Une étonnante, et pour le coup louable, repentance épiscopale venue d'Autriche a souligné la défaillance hiérarchique. L'archevêque de Salzbourg, Mgr Georg Eder, a déclarré dans une lettre pastorale lue le 12 novembre 2000 dans les paroisses de son diocèse, après la condamnation de l'un de ses prêtres qui avait concélébré une eucharistie avec un pasteur méthodiste : "Il faut déplorer avec regret le fait qu'une grande partie de nos fidèles soutiens financiers (en Autriche tous les catholiques paient un impôt d'Eglise, sauf à dénoncer leur qualité) mais aussi de ceux qui fréquentent les messes dominicales ne savent pratiquement plus rien de la nature de la messe. Comment cela est-il possible ? Qu'a-t-on donc prêché à ce sujet durant les trois dernières décennies ? Comment se fait-il que la compréhension de l'eucharistie disparaisse, malgré le renouvellement de la liturgie ? Autant de questions ouvertes. Certainement plus de 90% des personnes ne savent pas de quoi il s'agit. Si la situation est telle - et je pourrais contribuer à l'illustrer de multiples façons -, ceci indique qu'une démission des pasteurs est intervenue depuis des années. Nous, les gardiens mandatés par le Seigneur, nous n'avons pas accompli correctement notre devoir et nous nous sommes attiédis. Nous, évêques, nous nous sommes trop peu occupés de notre troupeau, nous avons laissé pénétrer les loups féroces. Dans les facultés catholiques, durant des décennies, des professeurs ont dénaturé le dogme catholique et d'autres encore.. Dans les cours d'instructio religieuse, les vérités concernant l'eucharistie ont été, et sont encore, transmises de manière gravement lacunaire. Oui, les pasteurs sont coupables, le sel s'est affadi, et il sera bientôt foulé aux pieds."

Les évêques de France, de leur côté, se sont momentanément emballés pour les JMJ parisiennes de 1997, mettant beaucoup d'espoir dans leurs retombées catéchitiques et escomptant l'éclosion de nombreuses vocations. Le "caté" s'est affiché sur les murs par de vastes campagnes de communication : 9000 affiches à Paris ont proclamé : "Le catéchisme, des répères pour la vie". Cette campagne s'est doublée d'une opération de proximité visant 80 000 familles avec enfants. Chacune a reçu une lettre personnelle présentant les activités pour les enfants et adolescents organisées à la paroisse. Les douze diocèses de l'Ouest (Angers, Bayeux, Coutances, Lavail, Le Mans, Rennes...) ont lancé leur campagne de communication sur le slogan : "La pause café prépare à la solidarité : c'est bon signe !" avec une citation de Yann, 9 ans : "Au caté on a organisé une fête de la solidarité pour le quartier. Après la messe, animée par les jeunes, on a pris l'apéro au centre social, puis le pique-nique tous ensemble. Ensuite, nous avons animé des jeux. Il y avait aussi des danses coréennes, des chants, une animation autour du commerce équitable et une initiation aux premiers secours. C'était super !". Cette campagne lancée à l'instigation de l'Association générale pou rle développement de l'enseignement religieux (Agder), qui regroupe les équipes de catéchèse des 12 diocèses de l'Ouest, est menée en partenariat avec Bayard Presse (La Croix) et les éditions Créer. Elle a eu une diffusion très grand public puisque le slogan était inséré à plus d'un million d'exemplaires dans les journaux du grand ouest. 25 000 livrets ont été distribués dans les 12 diocèses comme support de travail pour comme support de travail pour les catéchistes, le tout accompagné d'affichage dans les paroisses et les commerces. Ce catéchisme à grande échelle laisse planer plus qu'un doute sur son efficacité.

En effet, la formation familiale pour l'éducation chrétienne la plus fondamentale a toujours été assurée par le catéchisme, "l'oeuvre par excellence", selon Mgr Dupanloup, ainsi que par la prédication dominicale. Or il y à beaucoup moins de monde à la messe du dimanche (3% en région parisienne). En outre, la majorité des homélies contiennent bien peu de rappels explicites des données de la foi et de la morale. Mais si le public paroissial a fondu, le nombre des enfants catéchisés est longtemps resté à un niveau honorable. Cela a duré jusqu'au moment où les "enfants du Concile", formés par la nouvelle pédagogie catéchitique, sont devenus à leur tour parents. Depuis une dizaine d'années le taux de baptêmes diminue à une cadence inquiétante (30 baptêmes pour 100 naissance en région parisienne) et par voie de conséquence le nombre d'enfants catéchisés. De plus, alors qu'autrefois la majorité des enfants attendaient la communion solennelle (12-13 ans) pour abandonner la pratique et l'instruction religieuses, aujourd'hui, une bonne part d'entre eux quitte les bancs après la première communion (8-10 ans). La désertification catéchitique, limitée aux banlieues ouvrières sous les abbés Godin et Daniel (France, pays de mission ?, 1943), se répand désormais sur l'ensemble du territoire. Dans une enquête sur la baisse des critères d'appartenance religieuse chez les jeunes, le sociologue Yves Lambert notait une "sortie de la religion" chez la moitié des enfants de parents pratiquants, la proportion étant nettement plus marquée dans les milieux les plus conciliaires que dans le monde traditionnel ("Les jeunes et le christianisme : le grand défi", dans la revue Le Débat, 1993). le Père Bernard Sesboüé, jésuite, professeur de théologue au Centre Sèvres et président du Groupe des Dombes spécialisé dans le dialogue oecuménique, constate avec amertume : "Combien de foyers catholiques qui ont vécu avec enthousiasme l'événement de Vatican II, qui ont donné de leur foi un témoignage vivant, ouvert et engagé, voient avec tristesse la génération de leurs enfants prendre paisiblement une toute autre direction. On peut maintenant observer ce phénomène, amplifié, à la génération des petits-enfants. Désormais, la cohérence nécessaire entre les différentes instances éducatrices (famille, école, milieux de vie, médias, tout ce qui véhicule des options morales n'existe plus."

Il demeure malgré tout, que cette faillite est principalement imputable à l'aggiornamento de la pastorale, plus spécialement celle qui concerne l'éducation de la foi, à l'époque du fameux Catéchisme hollandais (1966). En, France, c'est dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale que le mouvement catéchitique manifesta visiblement son influence. En 1947 paraît la dernière mouture officielle du Catéchisme à l'usage des diocèses de France. Contestant la valeur des procédés traditionnels de ce manuel, la nouvelle méthode du chanoine Joseph Colomb, directeur national du Centre national de l'Enseignement Religieux, prétendait subordonner l'acquisition des vérités à l'accueil actif des catéchisés : "La valeur prédagogique d'un programme, d'une parole, ne réside pas d'abord dans sa richesse de vérité, mais dans le fait qu'ils sont adaptés à l'expérience religieuse de l'enfant, au moins à ses possibilités actuelles d'expérience, dans le fait que cette parole pourrait être, qu'elle serait la réponse aux questions que l'enfant poserait s'il avait la permission d'en poser (Doctrines de vie au catéchisme). Ces idées triomphent en partie avec l'édition du Catéchisme du chanoine Colomb, en 1950, qui s'inscrit dans le courant général de la réforme de la pédagogie. Cette expérience du "catéchisme progressif" a été sanctionnée en 1957 en la personne du chanoine, démis de ses fonctions à la suite d'une intervention du Saint-Office. Le Concile a ouvert depuis les vannes jusque-là contenue. Le Directoire de pastorale catéchitique publié par l'Episcopat français en 1964 est la consécration officielle de l'expérience interrompue. Il ne faut d'ailleurs pas penser que les manuels remplacés étaient d'un autre âge : un gros effort avait été fait pour varier leur présentation, ajouter des notions de liturgie et des connaissances d'Ecriture sainte, et surtout pour aider le travail des prêtres catéchistes par tout un matériel de fiches et guides pédagogiques, et cela de longue date, depuis les célèbres volumes du chanoine Quinet, Carnet de préparation d'un catéchiste (Spes, 1928). Dès 1965, l'ancienne pédagogie fait place à des séances ludiques avec dialogues entre catéchistes et enfants, se concluant par des liturgies devenues le lieu privilégié d'une créativité extrême. Le contenu de l'enseignement s'est effondré. A partir de ce moment, près de 90% des catéchistes ont été recrutés chez des laïcs, dont les connaissances élémentaires laissaient souvent à désirer, ou , pire, avaient été déformées par des sessions de recyclage. Malgré l'exhortation apostolique de Paul VI, Evangelii muntiandi, en 1975, qui voulait endiguer la débâcle, la crise a été aggravée par la rédaction de Parcours et la publicaton de leur clé de voûte, Pierres vivantes, en 1981, qui se voulait un recueil de documents avec lesquels les autres Parcours devaient être utilisés, le tout en conformité avec un Texte de référence voté par les évêques de France, lors de leur assemblée de 1979. Marc Dem, dans son pamphlet Evêques français, qu'avez-vous fait du catéchisme ? (La Table Ronde, 1984), a fait le bilan de la nouvelle catéchèse diffusée par Pierres Vivantes et par les Parcours homologués. Il est accablant : "Plus de Création, plus de péché originel, plus d'âme, plus d'anges, plus de diable, plus d'enfer, plus de ciel, plus de certitudes, plus de Marie conçue sans péché, plus de Crèche, plus de Jésus au milieu des docteurs, plus de Verbe incarné, plus de Trinité, plus de Rédemption, plus de Sacrifice, plus d'Ascension, plus d'Evangiles, plus d'Eglise une, sainte, catholique et apostolique."

à suivre...

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