Merci !
"Et quiconque aura quitté, à cause de mon nom, ses frères ou ses soeurs, ou son père ou sa mère... recevra le centuple, et héritera de la vie éternelle."
Tel est au terme de sa vie terrestre, le paradoxe de Dom Gérard, qui est aussi le paradoxe de la chrétienté. En embrassant la vie religieuse, en renonçant aux joies terrestres de la vie familiale, il est devenu le père, bien plus que les pères selon la chair. Un père que beaucoup de fils et de filles selon l'esprit, bien au-delà des monastères qu'il a suscités, pleurent aujourd'hui.
Sa vie fut marquée par ces renoncements, ces abandons entre les mains de la Providence. Ainsi quitta-t-il sa première famille bénédictine pour une forme d'hermitage... Il allait fleurir, cet hermitage, "au centuple", dans la majestueuse couronne de pierres qui a rebaptisé une colline du Barroux.
L'âge venant, le Père Abbé se dépouilla même de cette paternité qui lui avait été donnée sur ses moines, choisissant la retraite (mais comme on parle d'une retraite spirituelle) de l'humble frère se remettant entre les mains de ses propres fils. Mais qui peut imaginer qu'aujourd'hui, entré dans cette vie éternelle dont il chérissait la promesse, "Frère Gérard" ne veille plus paternellement encore sur ceux qu'il laisse orphelins ? Au centuple !
Il y à aussi ces renoncements auxquels Dom Gérard ne consentit jamais. La réforme liturgique prétendait le dépouiller de ce que Dieu nous a donné pour Lui plaire : cette avance sur hoirie qu'est l'office divin, ciel sur la terre... Ah, ça, non ! Abandonner le grégorien ? Laisser son regard, sa voix, ses oreilles, son esprit se détourner de l'essentiel ? Jamais ! Et cette avidité-là fut elle aussi récompensée, dès ici-bas, dans les chants qui retentissent sept fois par jour, et davantage, dans l'abbatiale du Barroux, échos fidèles des psalmodies bénédictines qui ont façonné et fécondé l'Occident.
Itinéraires fidèles, reconquêtes des coeurs et des nations qui ont besoin de se tourner vers la Croix, amour jaloux du beau parce que Dieu est la beauté même... Dom Gérard est le moine-soldat qui prêchait tout cela, encourageant sans crainte de déplaire tout combat humain pour la restauration patiente de la chrétienté. Mais pour notre mariage, il nous offrit son livre, Primauté de la contemplation. Paradoxe, encore ? Oui, mais avant tout, brûlante et exacte vérité dont il avait fait l'expérience et à laquelle il avait tant sacrifié, avec le sourire. Ce sourire malicieux et plein de bonté, si français, qui nous manquera tant.
Jeanne Smits (Présent, samedi 1er mars 2008)
Daniel Raffard de Brienne avait suivi plusieurs retraites spirituelles dans la si belle abbaye Sainte-Madeleine du Barroux. Il y avait aussi donné des conférences, notamment sur le Saint Suaire et éprouvait une grande admiration pour Dom Gérard.